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dans la sienne, comme s’il était en proie à une espèce d’hallucination qui lui dissimulerait à lui-même ses propres idées. Il faut à tout prix qu’il soit un disciple, au moins inconscient, de l’abbé Dubos, et, malgré ses résistances, le voilà classé d’office parmi ces esprits étroits et passionnés qui, par haine des Allemands, refusent aux Germains la paternité du régime féodal. M. Fustel avait consulté certainement le livre de Dubos, et il est possible que cette lecture, en éveillant son attention sur des particularités que la plupart des historiens négligeaient, ait eu quelque action sur ses premières recherches. Mais il s’était vite soustrait à son influence, et, en somme, ce n’est pas chez lui qu’il a puisé son système. Pour élucider le problème des origines de la féodalité. il estimait que le plus sage était de prendre une à une toutes les institutions qui la caractérisent, de les suivre à la trace, de siècle en siècle, et de vérifier si elles avaient leurs racines en Gaule ou en Germanie. Or, tandis que ses rivaux étaient presque tous de purs médiévistes, médiocrement instruits des choses de Rome, il était, quant à lui, aussi compétent en matière d’histoire romaine qu’en matière d’histoire du moyen âge. Il se vantait par conséquent d’être plus apte qu’eux à analyser les élémens divers qui s’étaient confondus dans la société mérovingienne, à y discerner ce qui était romain et ce qui était germanique, et à marquer les rapports de filiation qui la rattachaient aux deux sociétés d’où elle était issue. Cet avantage l’a plus d’une fois bien servi. Il n’a pas seulement prouvé qu’une multitude de règles et d’usages secondaires, d’apparence germanique, se retrouvaient déjà dans l’empire ; il a encore prouvé que les deux pratiques fondamentales d’où dérive la féodalité, à savoir le bénéfice et le patronage, ont été de tout temps fort répandues à Rome. Au reste, il se gardait à cet égard de toute exagération. S’il affirme que « l’esclavage, l’affranchissement, le colonat, sont passés, sans aucun changement essentiel, de l’époque romaine à l’époque mérovingienne, » il reconnaît que l’immunité mérovingienne n’a rien de commun avec l’immunité romaine, que l’élévation des rois sur le pavois, le système des épreuves judiciaires, les co-jureurs, sont des traits spéciaux aux Germains, que le compagnonnage germanique, sans être le germe primordial du régime féodal, en a favorisé indirectement l’éclosion. Il accorde même à ses adversaires que, si nous avions des renseignemens plus précis sur la vieille Germanie, nous nous convaincrions peut-être que ce régime est plus germanique que romain ; mais il se hâte d’avertir que, dans l’état actuel des documens, une pareille opinion serait erronée. Il signale des institutions dont la provenance est douteuse, en sorte que chacun, suivant ses tendances personnelles. « est libre de se prononcer