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et il en avait fait de respectueuses copies. Pour son Agar au désert (1835) et son Saint Jérôme, il avait beaucoup travaillé d’après le modèle vivant ; pour la décoration de la chapelle des fonts baptismaux, à Saint-Nicolas du Chardonnet (où il peignit un Baptême du Christ, aujourd’hui à peu près invisible grâce à la construction d’un mur, aggravée par la pose de vitraux aussi médiocres de dessin que faux de ton et vulgaires de couleur), il avait abordé la « grande nature ». Il avait ambitionné alors de plus importans travaux de décoration murale, et des tableaux comme l’Eurydice blessée ou la Toilette montrent ce qu’il eût pu faire en ce genre. Si le détail anatomique de ses figures nues n’est pas toujours impeccable, les relations des carnations (admirablement dans l’air) avec l’enveloppe atmosphérique sont d’une justesse et d’une qualité si rares que l’œil en reste comme comblé de plaisir. Enfin, il ne cessa jamais, pour son intime satisfaction et l’assouvissement de ses plus secrètes inclinations de « peintre », de brosser, sans aucune pensée d’exposition ni de vente, diverses études de Liseuses, Jeunes filles à la mandoline, Intérieur d’atelier, etc., qui sont, dans la seconde partie de son œuvre, et dans une note très différente, ce que les études d’Italie furent dans la première. Dans ces morceaux, faits sous un jour d’atelier, il est plus franchement « coloriste » que dans ses paysages ; il y laisse au ton local toute sa plénitude, recherche des harmonies plus étoffées et des sonorités plus soutenues, sans jamais compromettre d’ailleurs cette impression totale et cette rigoureuse discipline des détails qui résultent de l’observation constante et de la présence de l’air ambiant. On pourrait citer de cette série quelques pièces dignes des plus grands maîtres ; sans les imiter directement, avec une palette et des procédés différens, elles évoquent la ressemblance, tantôt de Van der Meer de Delft, tantôt de Velasquez, tandis que quelques Intérieurs de cuisine n’auraient pas déplu à Pieter de Hooch... Et, sans doute, on peut demander autre chose encore à un tableau et les esthéticiens transcendans doivent être respectés ; mais croyons-en Chardin, c’est bien bon de bonne peinture !


VII

Pendant que Corot, sans renier ses origines classiques, se libérait de sa manière froide et officielle pour atteindre à la libre et large expression de son véritable génie, une bataille mémorable se livrait dans l’école française. Un groupe de paysagistes, plus jeunes que lui d’une quinzaine d’années, avait levé contre les