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Depuis ce jour, Rustem fut l’objet d’une bienveillance générale de la part de la cour et du prince Gortchacow, car on peut dire qu’il contribua efficacement par son initiative à empêcher l’Angleterre et l’Autriche d’intervenir avec plus d’énergie. Ces deux puissances, en effet, étaient bien comme la Turquie signataires du traité de 1856 ; mais du moment où le principal intéressé se déclarait satisfait, comment les autres auraient-ils pu prendre une attitude réellement comminatoire ?

La réponse du gouvernement italien ne fut pas aussi satisfaisante qu’on l’espérait à Saint-Pétersbourg. Le prince Gortchacow avait dit à son ministre[1] en lui faisant part des intentions de la Russie, qu’il y avait là une occasion, pour un État nouveau (les Italiens venaient d’entrer dans Rome) d’affirmer sa politique, et d’agir avec une entière indépendance. C’était une invite assez directe qui voulait dire à demi-mot et en style diplomatique : — « Nous venons de vous voir entrer à Rome et renverser par la force la plus ancienne monarchie du monde. Nous n’avons rien dit, faites de même pour le traité de 1856. Entre gens d’esprit, on doit s’entendre aisément. »

Ce fut donc avec une visible mauvaise humeur que le prince Gortchacow entendit, le 21 novembre, le ministre d’Italie lui faire part des instructions qu’il avait reçues de son gouvernement. Le cabinet italien déclarait que, désireux de maintenir l’accord entre les puissances, il réservait son opinion sur les graves questions soulevées dans la circulaire russe. Il n’avait en vue que le maintien de la paix et de l’équilibre en Orient. L’équité l’obligeait donc avant de se prononcer à connaître l’opinion de la Turquie, principale intéressée dans la question, tout en ne se refusant pas, au besoin, à examiner, de concert avec les autres puissances, les modifications qu’il serait nécessaire d’apporter au traité de 1856.

Il nie reste à faire connaître l’accueil que les deux puissances belligérantes réservaient à cette communication, c’est-à-dire la Prusse et la France.

La Prusse connaissait depuis longtemps les intentions de la Russie et ne pouvait en tout cas s’y opposer, après les services qu’elle en avait reçus ; mais elle éprouva une certaine contrariété que la question de la dénonciation du traité eût été posée avant la fin de la guerre. Elle aurait voulu, avant tout, terminer sa lutte avec la France, peut-être pour pouvoir fixer, à un plus haut prix la concession qu’elle avait toujours eu l’intention de faire à la Russie. Bien qu’elle fût d’ailleurs pleinement édifiée sur l’impuissance des neutres qu’elle n’avait plus à craindre, cependant,

  1. Le marquis de Bella Carraciolo.