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desservir les besoins civils. Il est impossible de chiffrer la fraction des dépenses incombant à l’État, du chef des chemins de fer, qui doit être considérée comme faite exclusivement dans l’intérêt de la défense nationale. Mais il n’est pas douteux que, dans les charges annuelles que nous avons énumérées, 20 ou 30 millions au moins rentrent dans cet objet, sans parler, bien entendu, des lignes prétendues stratégiques, auxquelles ce titre n’a été donné que parce qu’il était impossible de motiver autrement les dépenses qu’elles entraînaient.

Parmi les lignes établies dans l’intérêt du public, ce sont les lignes secondaires, surtout celles qui traversent des pays difficiles, qui seules donnent des déficits. Il est tout à fait inexact de dire, comme on le fait trop souvent, que les pays pauvres, où le service est moins complet, les tarifs parfois moins abaissés que sur les grandes lignes, sont injustement traités, parce qu’ils supportent les charges générales du réseau comme les pays riches, pour être moins bien desservis ; la vérité, c’est que ce sont les pays riches qui paient pour les pauvres. Prenons pour exemple la ligne de Paris à Marseille. L’État a contribué à son établissement pour une somme de 150 millions, dont l’intérêt est couvert deux fois au moins par les impôts et les bénéfices qu’elle lui procure. La compagnie, de son côté, en tire 102 millions de produit net, tandis que les charges des capitaux qu’elle y a dépensés n’atteignent que 34 millions ; admettons, comme cela est juste, que les 27 millions distribués aux actionnaires, en sus de l’intérêt de leurs versement au taux légal, soient prélevés uniquement sur le produit de cette ligne ; il n’en reste pas moins 41 millions qu’elle déverse sur le reste du réseau, en atténuation de la garantie. On trouverait, pour chaque compagnie, des exemples, sinon aussi topiques, du moins analogues. Les 6 000 kilomètres qui constituent les grandes artères donnent des excédens de recettes considérables ; les autres lignes concédées avant 1859 n’ont que des déficits modérés ; ce sont les concessions faites aux grandes compagnies depuis l’institution de la garantie, en 1863, en 1868, en 1873, en 1875, en 1883, et les lignes rachetées ou concédées aux compagnies secondaires, qui causent les charges du Trésor. Sans doute, si ces affluens n’existaient pas, les grandes artères n’auraient jamais atteint leur trafic actuel ; il n’en est pas moins vrai que les régions desservies par ces dernières, loin d’être favorisées aux frais des contribuables, paient des taxes très supérieures au prix de revient des transports qui s’y effectuent, amortissement du capital compris, et cela pour subvenir en partie aux déficits des lignes secondaires.