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documens qui venaient d’être communiqués aux gouvernement eux-mêmes, avant de comprendre les motifs auxquels la Russie avait obéi en agissant comme elle le fait. Le chancelier a ajouté qu’aucun article ne serait inséré dans les journaux russes avant que les pièces du procès ne fussent entre les mains des gouvernemens intéressés.

« En apprenant cette nouvelle de la bouche du prince Gortchacow, sir A. Buchanan lui a dit avec vivacité que, si les journaux avaient reçu les premiers la confidence de ces projets, il n’aurait pas été surpris que son gouvernement lui eût donné l’ordre de demander ses passeports.

« Je tiens ces détails de l’ambassadeur d’Angleterre que j’étais allé voir pour lui faire part des informations que vous m’avez envoyées. Il m’a paru anéanti par cette nouvelle, ainsi que le ministre d’Autriche, le comte Chotek, que j’ai trouvé chez lui. En ce qui nous concerne, je me suis borné à répondre à l’ambassadeur d’Angleterre, en le remerciant de cette information, que ce qui arrivait devait montrer à son pays et à l’Europe les hasards-auxquels ils pouvaient se trouver exposés, quand la France était momentanément réduite à l’impuissance. Je n’ai pas ajouté un mot de plus. »

La communication du chancelier à l’ambassadeur d’Angleterre avait été faite le 30 octobre-11 novembre et ce fut seulement le 3/15 novembre que, conformément aux assurances qui avaient été données à sir Andrew Buchanan, la circulaire parut au Journal officiel. Ce document annonçait l’intention de tenir pour non avenue la clause du traité de 1806 relative à la Mer-Noire. Il se terminait cependant par la déclaration que ; l’intention de l’empereur n’était pas de soulever la question d’Orient, et qu’il était prêt à s’entendre avec toutes les puissances signataires de cette transaction, soit pour en confirmer les dispositions générales autres que celles de la Mer-Noire, soit pour y substituer tout arrangement de nature à assurer le repos de l’Orient et le maintien de l’équilibre général.

La Russie, il faut le reconnaître, avait été fort habile dans le choix du moment qu’elle avait pris pour faire ce coup d’Etat diplomatique. Mais on ne peut contester aussi qu’elle s’engageait par cet acte dans la voie où la Prusse l’avait précédée, celle de la force primant le droit. A partir de cette double date, l’Europe de 1815, du prince de Metternich et de l’empereur Nicolas n’existait plus et ne pouvait plus revivre.

La communication du prince Gortchacow n’était pas faite pour être agréable à l’Angleterre, ni aux autres puissances, mais il était clair qu’elle n’amènerait pas de bien graves complications