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300 000 descendans qui forment la moitié de la population blanche de l’Afrique du Sud.

Il n’est pas certain que dans quelques dizaines d’années ils ne soient pas de nouveau en notable majorité. Il n’y a pas place dans l’Afrique du Sud pour une grande immigration européenne. Tout le travail commun dans les villes, comme dans les campagnes, sera toujours fait par les noirs, qui sont quatre fois plus nombreux que les blancs dans les colonies et les républiques boers, et forment encore presque toute la population du Matabeleland et du Mashonaland. Ils arriveront même, sans doute, à exercer des métiers un peu plus élevées, mais nécessitant surtout une habileté manuelle. Dans les mines mêmes du Witwatersrand, on employait à la fin de 1894, d’après le rapport de la Chambre des mines, 42 000 noirs contre 6 500 blancs ; c’est une proportion de 6 et demi à 1. L’émigration blanche dans les villes devra se borner aux travailleurs qualifiés, skilled labourers ; c’est un débouché relativement mince. Quant aux campagnes, l’agriculture pourrait y être beaucoup développée ; elle est aujourd’hui si arriérée qu’on en est réduit à importer du beurre d’Australie. Mais le pays est surtout pastoral, par suite de l’insuffisance des pluies, sauf sur une mince bande côtière ou dans les endroits irrigables ; l’irrégularité des saisons et les épizooties fréquentes qui sévissent, surtout quand on s’avance vers le nord, sur les chevaux, le bétail et même les volailles, rendront toujours la petite propriété très précaire. Sous le régime, dès lors obligatoire, des grands domaines, employant le travail noir, l’immigration blanche rurale ne sera, pas plus que l’immigration urbaine, bien nombreuse.

Les Boers pourront-ils maintenir leur langue ? Quoiqu’on l’enseigne dans les écoles, elle semble reculer aujourd’hui. En tous cas, elle résistera longtemps. Il est difficile de dire quel sera le parler définitif d’un groupe sans unité ethnique. Une langue que l’on croit en voie de disparition parce qu’elle n’est parlée que par les couches inférieures de la population peut reparaître et l’emporter tout à coup. Il en a été ainsi pour les Flamands de Belgique et les Tchèques de Bohême ; et il n’y en a pas de plus éclatant exemple que l’Angleterre, qui pendant plus de deux siècles parut destinée à parler français. Il faut remarquer en outre que la langue hollandaise est beaucoup plus répandue parmi les indigènes que la langue anglaise, dont les nègres des villes et des camps miniers savent seuls quelques mots. Le hollandais est même devenu la langue usuelle de la plus grande partie des gens de race mêlée, désignés sous le nom de Cape-boys.

En terminant cette étude, j’ajouterai un mot sur la question internationale, la position du Transvaal vis-à-vis de l’Angleterre.