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doute, comprend surtout de hauts plateaux dépourvus d’arbres, mais les grandes plaines ouvertes, comme celles de l’ouest de l’État d’Orange, sont rares, et, dans les grandes montagnes qui s’élèvent à l’est des hautes terres, au milieu des kopjes pierreux du Karrou, dans la colonie du Cap, sur les plateaux ondulés du Transvaal, dans les vallons et les buissons du Bushveld, la guerre d’embuscades et de guérillas aurait un beau terrain. Les troupes européennes souffriraient sans doute sensiblement de la chaleur et des grandes variations de température ; on ne trouverait pas à vivre sur le pays, difficilement peut-être à y boire, car les points d’eau sont rares en maintes régions et il n’existe aucune carte détaillée et exacte. Il faudrait tout faire venir de la côte, en chars à bœufs sans doute, par des routes détestables, car les Boers auraient tôt fait de couper les chemins de fer, surtout cette voie ferrée de Natal, qui s’élève à 1 700 mètres en 300 kilomètres, grimpant péniblement au flanc des montagnes où vivent les fermiers hollandais.

Sans doute, l’Angleterre, après d’énormes sacrifices et une longue lutte, viendrait à bout des Boers, mais à quel prix ? Au point de vue de l’industrie minière une désorganisation complète, peut-être la destruction de nombreuses installations, en tout cas un chômage que la difficulté de recruter des travailleurs prolongerait pendant plusieurs années. Déjà, pendant les derniers événemens, on pouvait voir les bureaux du gouvernement constamment assiégés de centaines de noirs venant demander leurs passes de voyage pour s’en retourner chez eux, et peut-être faudra-t-il plusieurs mois pour que ces gens défians se décident à revenir et que les mines, déjà fort a court avant l’insurrection, aient leur personnel au complet. Les chefs mineurs blancs partis aussi en grand nombre, plusieurs centaines même jusqu’en Angleterre, fuiraient en masse en cas d’hostilités prolongées. Cette guerre, entreprise en vue de favoriser l’industrie aurifère, serait le pire désastre qui pût l’atteindre.

Au point de vue moral, ce serait la désunion semée pour plusieurs dizaines d’années entre les Boers et les Anglais. Dès aujourd’hui l’œuvre conciliatrice, qui avait été l’un des principaux objets des soins de M. Rhodes, est détruite. Il peut sembler étrange que l’homme qui a probablement préparé l’invasion du Transvaal soit le même qui s’appuyait sur les Boers pour gouverner la colonie du Cap et leur faisait toutes les concessions possibles. M. Rhodes veut d’abord dominer, il veut que son pays soit maître de toute l’Afrique du Sud : i à une ambition plus haute que de la voir toute teintée en rouge sur les cartes ; il veut qu’elle se développe et prospère ; il veut que son œuvre soit