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La résistance était d’ailleurs impossible : 10 000 à 12 000 Boers au moins étaient en armes et entouraient à peu près la ville à quelques kilomètres de distance ; les troupes de l’État d’Orange étaient prêtes à passer la frontière ; dans la ville même, 3 000 étrangers et Boers étaient enrôlés par les autorités régulières. Le 10 janvier les armes étaient rendues et tout était fini ; la Bourse même, fermée depuis le 28 décembre, avait rouvert ses portes, privée il est vrai de plusieurs de ses personnages importans, membres du comité de réformes et tous en sûreté à la prison de Pretoria ; la plupart furent mis en liberté sous caution ; seuls les cinq signataires de la lettre d’appel au docteur Jameson furent retenus. Le chef des flibustiers lui-même, condamné à mort par une cour martiale, fut gracié aussitôt par le président et reconduit avec ses hommes sur le territoire anglais.


IV

La suite des événemens qui se sont écoulés avant et pendant cette tentative de révolution démontre clairement qu’elle n’était pas le résultat d’un mouvement populaire, mais celui d’une agitation créée par la plupart des grandes maisons financières de Johannesburg pour mettre la main sur le gouvernement du Transvaal et établir dans le pays un protectorat anglais, objet qu’on n’osait pas avouer, de peur de s’aliéner non seulement les étrangers autres que les Anglo-Saxons, de tout temps absolument opposés au mouvement, mais encore les Américains et de nombreux Afrikanders qui craignaient de tomber entre les mains de la compagnie à Charte.

Que M. Rhodes ait connu, approuvé, contribué à préparer l’équipée du docteur Jameson, c’est ce que, malgré les démentis diplomatiques qu’il donne avec raison, le public admet généralement. Nous tenons de personnes qui se trouvaient dans le Mashonaland à cette époque que la Chartered y recrutait dès septembre dernier des volontaires qu’on réunissait à Buluwayo d’où ils furent en novembre dirigés vers Mafeking, tout près de la frontière du Transvaal, alors que rien ne justifiait l’accumulation de plusieurs centaines d’hommes en ce point parfaitement tranquille. L’intimité de M. Rhodes avec tous les chefs du mouvement rend encore plus vraisemblable sa complicité.

La seule chose qui pourrait faire douter de sa coopération, c’est la légèreté, l’insuffisante préparation avec laquelle on s’est engagé dans cette affaire. M. Rhodes est un descendant de la grande race de Cortez, de Clive, de Warren Hastings, de tous ces fondateurs d’immenses empires coloniaux. Comme eux il ne