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l’avouer. Il semble, d’ailleurs, qu’aussitôt la révolution commencée et les armes distribuées, ce groupe, qui parlait si haut, ait perdu toute confiance, ait été effrayé des conséquences de ce qu’il avait commencé. Il avait donné des armes ; il n’osa s’en servir. Tant qu’il n’y avait eu qu’à préparer l’insurrection sur le papier, il avait été très ferme : on avait même organisé le gouvernement qui devait succéder à celui des Boers ; le président, le vice-président de la République étaient désignés. On avait, paraît-il, un nouveau drapeau qui, au lieu d’être bleu, blanc et rouge, avec une bande verte le long de la hampe, comme celui du Transvaal, portait en outre à l’angle supérieur la croix de Saint-André de l’Angleterre. Mais on n’avait eu garde de le montrer, pour ne pas s’aliéner une partie de la population, et on avait arboré en grande pompe le Vierkleur, l’étendard du Transvaal, au-dessus du siège du comité. De même, le 31 décembre on répudiait hautement l’acte du docteur Jameson, appelé pourtant par une lettre signée de cinq des principaux membres du comité ; le lendemain au contraire, on se décidait à déclarer qu’on ne pouvait refuser aucun secours pour la bonne cause et que le comité se faisait solidaire de Jameson.

L’attitude de tous les étrangers de diverses nationalités, en présence de cette invasion de flibustiers, était pourtant de nature à faire réfléchir : dès qu’ils l’avaient apprise, les Allemands de Pretoria et de Johannesburg s’étaient réunis et avaient décidé d’offrir leurs services au gouvernement pour la défense de l’ordre de choses légal. Les Français avaient aussi déclaré leurs sympathies pour les Boers, et quelques-uns s’étaient également offerts à s’enrôler et à prendre du service dans l’artillerie. Les Scandinaves ne cachaient pas leur hostilité au mouvement révolutionnaire ; seuls, les Italiens s’abstenaient. Les quelques centaines de Boers qui habitent Johannesburg et plusieurs étrangers s’étant présentés aux bureaux du gouvernement pour demander des armes, on les engagea à se tenir tranquilles, pour le moment, tout en leur promettant de les employer, si cela devenait utile. Il faut en faire honneur au tempérament froid des Anglo-Saxons, si dans cette ville en révolte et privée d’autorités régulières l’ordre le plus parfait n’a cessé de régner, malgré la division de la population en deux partis ennemis ; à peine quelques boutiques furent elles pillées par des nègres dans les faubourgs, et ces désordres furent facilement réprimés.

Devant l’attitude des étrangers non Anglais, les hésitations du comité s’accrurent ; peut-être la proclamation du gouverneur du Cap, Haut Commissaire de la reine, intimant l’ordre au docteur Jameson de revenir immédiatement en arrière et interdisant aux