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II

Si, quittant Johannesburg, vous vous élevez sur les hauteurs qui dominent la ville au nord, ou s’étagent encore quelques maisons du faubourg fashionable de Doornfontein, et que vous vous retourniez pour jeter un regard sur le panorama qui s’étend vers le sud, toute la longue ligne des mines avec leurs installations de machines, leurs cheminées, leurs petits bâtimens d’habitation, leurs blancs entassement : de résidus, n’apparaît plus que comme un mince ruban se déroulant au pied des collines, comme un accident insignifiant dans le paysage immense, mollement ondulé, où quelques rangées de faibles coteaux s’estompent seulement à l’horizon.

Si, marchant encore quelques pas, vous dépassez la crête, vous voici sur un plateau sans arbres, sans cultures, sans rien qui décèle que vous venez à peine de sortir d’un centre industriel d’une extraordinaire activité, vers lequel le monde a les yeux tournés. Johannesburg n’a de banlieue qu’à l’est et à l’ouest, où les maisons et les installations minières se continuent presque sans interruption pendant 25 ou 30 kilomètres de part et d’autre. Au nord et au sud aussi, dès qu’on a dépassé de quelques centaines de mètres l’affleurement du Main Reef, on se retrouve sans transition dans l’absolue solitude ;, malgré les apparences, cette grande ville aux solides maisons de pierre n’est qu’un camp minier, construit pour durer quarante ou cinquante ans, parce qu’on estime que les gisemens aurifères ne seront pas épuisés plus tôt ; mais si, par hasard, ils venaient à manquer demain, la ville se viderait subitement. Ses habitans ne tiennent pas au sol ; ils sont campés là pour atteindre un but bien défini : faire fortune le plus tôt possible. Quand ils auront extrait tout l’or que contient le sol, ils se retireront, comme des moissonneurs après la récolte faite. Les vrais habitans de la contrée, ceux qui en ont fait leur patrie, qui s’y sont établis avec leurs femmes let leurs enfans, les paysans, dans le sens le plus large et étymologique du mot, ce sont les Boers : leur nom n’est que la traduction hollandaise de ce mot français : paysan.

En face du colluvies gentium qui s’est donné rendez-vous à Johannesburg, les Boers forment la population la plus homogène qui soit, bien qu’ils descendent surtout de deux élémens très divers : les anciens colons hollandais et, les huguenots français réfugiés au Cap après la révocation de l’Edit de Nantes. Mais les deux nationalités se sont promptement amalgamées, ou plutôt la seconde a été absorbée par la première, et les descendans des protestans