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éventuellement à occuper le grand-duché de Posen, en cas où une intervention du cabinet de Vienne en notre faveur aurait pu faire craindre des troubles en Pologne.

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« Cependant l’excès de nos malheurs a fait revivre les sympathies naturelles qui subsistent entre les deux pays, malgré la guerre de Crimée et surtout malgré notre intervention diplomatique en faveur de la Pologne qu’on ne nous a pas encore pardonnée. On nous a plaint, on a regardé avec effroi l’ascendant énorme que prenait la Prusse, les journaux ont presque demandé une assistance en notre faveur. Cette intervention n’était au fond pas plus à espérer que son concours armé contre nous n’était à craindre, et cela pour deux motifs principaux.

« Assurément, on peut dire qu’en majorité la Russie est plutôt sympathique à notre cause pour plusieurs motifs particuliers ou généraux. On sympathise dans une certaine mesure avec nos malheurs, on voudrait qu’il fût possible d’y remédier. On craint pour soi les trop grands succès d’un voisin qui est déjà redoutable et qui va le devenir bien davantage. Mais la guerre effraie, d’abord parce qu’on n’est pas prêt, ensuite parce qu’il est trop tard pour s’engager, enfin et surtout parce qu’on ne se soucie pas d’entrer en lutte sans nécessité avec une puissance qui a vaincu la France. A côté de la Russie d’ailleurs, il y a l’empereur, devant lequel tout le monde s’incline et sans trop de regret, surtout dans la crise actuelle. Or l’empereur voit dans le roi de Prusse un parent auquel il est sincèrement et respectueusement attaché, le chef d’une armée victorieuse dont il connaît tous les régimens, dont il a décoré les principaux chefs, comme il l’a fait récemment pour M. de Moltke et le prince de Saxe, enfin l’ennemi nécessaire et l’adversaire principal en ce moment de la révolution européenne. Voilà trois motifs suffisans à ses yeux pour qu’il ne se tourne jamais contre son oncle, matériellement ou même moralement, tout en n’étant animé, à la grande différence de l’empereur Nicolas, d’aucun sentiment malveillant contre la France, et en plaignant sincèrement, je crois, nos malheurs actuels.

« Quant au prince Gortchacow, comme mêle répétait encore il y a quelques jours un membre du corps diplomatique, il conserve quelques sympathies pour nous, mais il connaît les tendances de l’empereur et de là viennent quelquefois les contradictions que j’ai dû vous signaler de temps à autre dans son langage. »

Telles étaient en résumé les dispositions que nous rencontrions à Saint-Pétersbourg et qui, par la force des circonstances, devenaient communes à toutes les puissances neutres. M. de