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leur valeur propre, parfois presque indépendante de l’action.

En général, les tragiques grecs, dont la puissance pathétique est très supérieure à celle des modernes, ont en plus que beaucoup d’entre eux le soin de détendre par momens le drame, de ménager des repos pour permettre à l’émotion de se renouveler et pour distraire l’imagination en lui offrant des objets plus simples, ou plus aimables, ou plus brillans ; et les chants lyriques ont beaucoup servi pour atteindre ce but. Cet art de prévenir, par la variété, la fatigue des spectateurs était peut-être d’autant plus nécessaire à Euripide que le fond tragique s’amoindrissait chez lui. Il montra son goût de recherche ingénieuse et d’innovation dans des morceaux lyriques qu’on ne peut pas complètement apprécier à la lecture. Les effets de la musique, de la danse, des attitudes, du costume faisaient partie intégrante de l’impression qu’ils produisaient. Les couplets de lamentation qu’Electre chante dans la première partie de la pièce qui porte son nom nous plaisent médiocrement, si nous les jugeons uniquement d’après les convenances littéraires. Considérés en eux-mêmes, ils pâlissent singulièrement auprès des plaintes passionnées des Electre d’Eschyle et de Sophocle, et le contraste qu’ils forment avec cette espèce d’idylle rustique où ils sont intercalés ne suffit pas pour éveiller chez nous un vif intérêt. Rien n’était moins tragique que la transformation de la noble fille d’Agamemnon en une bravo paysanne allant chercher de l’eau pour son pauvre ménage, et remplissant volontiers cet humble devoir par égard pour l’honnête et discret campagnard dont elle est devenue, par une bizarre invention du poète, l’épouse nominale. Il y a là un rapetissement quelque peu puéril et ridicule, bien fait pour justifier à nos yeux les censures d’Aristophane qui ont été rappelées plus haut. Et cependant il se peut que cette scène lyrique n’ait pas déplu au public athénien. L’entrée de la jeune femme, ses attitudes, quand elle arrive avec une urne sur sa tête rasée ou qu’elle la dépose à terre pour se livrer à ses explosions de douleur, la nature de sa mimique et la musique de ses, chants au milieu de ce paysage agreste où va se passer un drame terrible, l’ont peut-être séduit et charmé par le piquant d’effets inattendus dans un sujet dont l’horreur lui avait été si fortement exposée par d’autres. L’exemple le plus frappant des efforts de cet esprit inventif pour diversifier le drame et en renouveler les impressions était sans doute la célèbre monodie de l’esclave phrygien d’Hélène, exprimant ses terreurs, à la fin d’Oreste, par l’étrangeté de sa danse et de son chant. Mais je dois me borner à une simple indication.


Il ne m’était guère possible d’abréger cette rapide revue des