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bien insuffisant à l’effet produit par les scènes d’un drame. Et d’ailleurs Euripide ne prenait pas toujours la peine de donner, par la punition du crime, une satisfaction à la conscience du public. Ainsi, dans les Crétoises, Aéropé, plus coupable que Mélanippe, cédait, non pas à la puissante séduction d’une grande divinité, mais à son amour pour un esclave ; ce qui n’empêchait pas qu’à la fin elle échappait au supplice auquel son père l’avait condamnée et devenait l’épouse de Plisthène.

Il faut dire que, probablement, dans ces pièces, c’était surtout la donnée qui était immorale plutôt que la façon dont elle était traitée. Nous ne connaissons bien qu’une seule de ces héroïnes de l’amour coupable, Phèdre, et c’est une admirable création. Il est vrai que c’est la Phèdre du second Hippolyte, dépouillée de son impudence et presque épurée. Celle du premier avait sans doute choqué les Athéniens par l’emportement de sa passion. Ce n’est pas aujourd’hui qu’on reprocherait au poète d’avoir étudié et peint hardiment ces maladies de l’âme et ces égarement des sens. Son audace, étant données les idées des Grecs sur la tragédie, était plus grande que celle des modernes ; mais il paraît avoir tenu davantage à rendre ses personnages intéressans. Le fait est évident pour Phèdre ; il est probable que l’impression de l’amour incestueux de Macareus et de Canaché était atténuée par la lutte que le premier soutenait contre lui-même, par sa douleur et par la mort des deux amans. Il n’en reste pas moins qu’Euripide avait choisi ce genre de sujet dans cette infinité de légendes que lui offrait la mythologie grecque ; mais on doit remarquer aussi que, dans le nombre si considérable de ses tragédies (la fécondité des grands tragiques d’Athènes est, on le sait, merveilleuse), il y en avait, en somme, fort peu où l’impudeur des femmes fût au premier plan. Les exemples de noblesse et de dévouement, comme ceux d’Alceste et d’Evadné, y étaient peut-être aussi nombreux. Nous devons donc, pour conclure, nous contenter de dire que l’invention curieuse de ce novateur dramatique s’était attachée à ces sujets comme à beaucoup d’autres.

La dégradation des héros et des légendes héroïques n’est pas moins attaquée par la censure d’Aristophane que l’immoralité des sujets. Il fait dire à Eschyle, accusé par son rival, de parler une langue inhumaine à force d’emphase : « Mais, malheureux, pour de grandes pensées et de grands sentimens, il fallait faire des mots de même taille. Et d’ailleurs il est naturel que des demi dieux se servent de mots plus grands, car ils portent aussi des vêtemens beaucoup plus majestueux que les nôtres. Telles étaient mes belles inventions, et toi, tu les as gâtées. — Comment cela ? — D’abord en habillant les rois de haillons, pour attirer sur eux