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et M. Maurice Croiset[1]. Il ne fut ni l’inventeur ni l’adepte d’aucune doctrine, mais il s’intéressa vivement aux systèmes inventés par d’autres, vécut avec plusieurs philosophes, et certaines idées paraissent l’avoir particulièrement frappé. On ne peut guère douter qu’il ait connu les écrits de Xénophane et d’Héraclite ; mais, parmi les philosophes, les dates et l’histoire ne permettent de lui attribuer de rapports personnels qu’avec Anaxagore et son disciple Archelaüs le physicien. Ajoutons le dialecticien Zénon d’Elée, qu’il put connaître dès sa jeunesse et qui développa peut-être en lui le goût de l’argumentation. Ces rapports semblent avoir été assez étroits avec le premier de ces deux hommes ; c’est ce qu’on peut conclure avec Valckenaer[2], sans attacher autant d’importance que lui à des allusions qu’on a cru reconnaître dans certains vers. Quant à la doctrine seulement, si Euripide ne fut pas, comme le disent Cicéron et d’autres, disciple d’Anaxagore, l’enseignement du philosophe avait cependant laissé son empreinte dans l’esprit du poète. Il n’est pas certain que celui-ci, comme Denys d’Halicarnasse le fait entendre, eût écrit Mélanippe la philosophe tout exprès pour exposer le système de son ancien maître ; mais, à tout prendre et si l’on ne cherche pas dans une tirade de tragédie une exposition exacte et rigoureuse d’un système philosophique, Anaxagore se retrouve dans les explications cosmogoniques et physiques que la jeune femme juge à propos de donner à son père pour l’empêcher de brûler vifs les deux enfans qu’elle a eus de Jupiter et qu’on croit nés d’une vache et d’un taureau. Il se retrouve aussi, et peut-être plus visiblement encore, dans un fragment de son Chryszppe.

M. Decharme remarque avec raison que dans la cosmogonie de Mélanippe manque le Nous, l’intelligence, qui met en mouvement les élémens inertes du monde, primitivement confondus, omission grave assurément, et qu’il n’y est pas non plus question des homœoméries. Il aurait pu ajouter qu’un autre système que celui d’Anaxagore n’a pas laissé des traces moins profondes chez Euripide : c’est le système de Diogène d’Apollonie, qui faisait de l’Ether, cette substance pure et impalpable, l’être suprême, à la fois corps, éternel et intelligence toute-puissante. « Vois-tu en haut cet Ether qui étend ses bras souples autour de la terre ? Crois que c’est Zeus, crois qu’il est dieu. » Et dans d’autres fragmens

  1. M. Weil, dans un article du Journal des Savans sur l’Euripídes Heraklès de M. Wilamowitz-Möllendorff` (cahier de janvier 1890), me paraît se rapprocher de l’opinion que je soutiens.
  2. Le savant hollandais a traité longuement cette question dans la discussion intitulée : Diatribe in Euripidis perditorum dramatum reliquiis (à la suite de son édition de l’Hippolyte).