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Trois jours après cet important entretien, M. Thiers fut reçu par l’empereur Alexandre. L’audience dura une heure. Voici dans quels termes M. Thiers en rendit compte dans le télégramme suivant qu’il adressa le 1er octobre à la délégation de Tours :

« Je suis à Saint-Pétersbourg depuis cinq jours. J’ai vu l’empereur et le prince Gortchacow, j’ai eu avec ces maîtres de l’empire de longs entretiens. Ici comme partout, j’ai trouvé des préventions, moins contre la forme que contre l’instabilité du gouvernement républicain. On apprécie les hommes modérés qui sont au pouvoir, mais on craint toujours l’apparition prochaine des hommes de désordre. J’ai répondu à ces craintes par la force bien constatée du parti modéré et par la nécessité de le renforcer encore en le secondant. Pourtant, quand nous avons parlé des relations futures des deux empires, les craintes d’instabilité ont reparu. Inutile de vous répéter ce que j’ai fait pour les calmer. L’idée d’unir la France et la Russie par une solide alliance enchanterait ici tout le monde, et il n’y a que le parti allemand, du reste peu nombreux, qui le repousse. Le parti russe, c’est-à-dire le pays, est tout entier pour nous. Hier soir, dans une des principales maisons de Saint-Pétersbourg où je dînais[1], j’ai été entouré des principaux personnages du gouvernement et j’ai entendu un langage qui m’a soulagé le cœur et m’a prouvé l’utilité d’être venu jusqu’ici. Les princes les plus importans de la famille impériale m’ont fait exprimer le désir de me voir. Malheureusement, la façon dont la guerre a été déclarée après l’abandon de la candidature Hohenzollern avait causé un mécontentement et un effroi général et on avait cru voir se renouveler les invasions du premier Empire. Sous cette impression, la Prusse et la Russie ont pris des engagemens qui gênent beaucoup l’action du gouvernement russe. Néanmoins, l’empereur, qui est très sensible à l’opinion publique, m’a déclaré que tout ce qu’il pourrait pour amener une paix acceptable il le ferait, et qu’il ne s’arrêterait qu’à une limite, la guerre ; et comme il est un parfait honnête homme on peut compter sur sa parole. Le prince Gortchacow m’a fait la même déclaration et j’ai acquis la certitude personnelle de ce qui a déjà été fait à cet égard. On m’a promis que les efforts seraient grands en notre faveur lorsque se débattraient les conditions de la paix. On dira son avis sur cette paix et on déclarera hautement que si elle n’est pas équitable, elle ne recevra ni l’approbation, ni la satisfaction de la Russie et qu’elle sera un acte de force dépourvu de toute garantie européenne. On voudrait que,

  1. C’était chez la princesse Troubetskoï.