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entre les représentans des deux pays, et, en pareil cas, qui dit contact dit conflit. Les Anglais, après avoir passé le Mékong, avaient installé un poste militaire sur la rive gauche, à Muong-Sing. Or Muong-Sing, relevant du Siam et non pas de la Birmanie, devait nous appartenir : nous l’avons démontré à cette époque, et il est aujourd’hui d’autant plus inutile de revenir sur notre démonstration que l’Angleterre évacue le point occupé et nous l’abandonne. Nos droits sur Muong-Sing auraient été moins bien établis que, tôt ou tard, l’Angleterre aurait dû renoncer à une enclave où elle se trouvait perdue au milieu des possessions françaises. Quand un gouvernement, à tort ou à raison, a mis la main sur des points isolés comme celui-là, le meilleur parti qu’il puisse en tirer est d’en faire de la monnaie d’échange pour obtenir autre chose ailleurs. Il était bien clair qu’un jour ou l’autre toute la rive gauche du Mékong devait nous appartenir, et que, dès lors, Muong-Sing ne pouvait pas faire seul exception. Les Anglais l’ont reconnu, et s’il est vrai, ce que l’arrangement ne dit pas, que nous ayons procédé envers eux de la même manière sur le Niger, nous nous sommes fait réciproquement des concessions de même valeur.

Mais si notre arrangement s’était borné là, il aurait été très insuffisant. La question de Muong-Sing n’avait, en somme, qu’une importance secondaire. L’Angleterre et nous avons une politique traditionnelle en Indo-Chine, et le moment était venu d’en consacrer à très grands traits les résultats acquis. Le thalweg du Mékong ne peut servir de limite à nos possessions qu’au nord du grand fleuve, puisque l’embouchure nous en appartient tout entière, et que, sur la rive droite, nous avons étendu, avec des formes diverses, notre influence sur le Cambodge et sur un certain nombre de provinces laotiennes. Cette politique nous a mis plus d’une fois en opposition avec le gouvernement siamois, et on n’a pas oublié les incidens qui nous ont amenés, en 1893, à forcer la passe du Menam et à faire remonter nos vaisseaux jusqu’à Bangkok. Pour dire la vérité, nos navires nous ont échappé à ce moment ; ils ont agi sans ordre, sous le coup de nécessités que nous n’avons plus à apprécier, et nous nous sommes trouvés placés dans une situation assez différente de celle que nous nous étions proposée. M. Le Myre de Vilers, envoyé à Bangkok, s’est tiré ou nous a tirés de la difficulté du mieux qu’il a pu, et il a signé avec le Siam un traité qui ne pouvait être que provisoire. Ce traité nous cédait tous les territoires siamois sur la rive gauche du Mékong, nous reconnaissait certains droits sur une bande de 25 kilomètres d’épaisseur le long de la rive droite, nous promettait des indemnités, etc., et enfin nous autorisait à occuper Chantaboum jusqu’à ce qu’il fût pleinement exécuté. Notre établissement à Chantaboum était donc essentiellement précaire. Quant aux provinces d’Angkor et de Battambang, il n’en était pas et il ne pouvait pas en être question. Tout le monde savait pourtant que ces deux provinces, qui