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aussi fixé ma résidence pendant le même temps, ainsi que quelques membres du corps diplomatique. Il était environ sept heures du matin. M. Thiers m’invita à monter avec lui dans le wagon-salon qu’on lui avait donné à Vienne, et je l’accompagnai jusqu’à Saint-Pétersbourg. Il était très abattu, plus encore au moral qu’au physique, et, dans les premiers momens de notre entrevue, il pouvait à peine prononcer quelques paroles, il avait des larmes dans la voix ; mais il se remit assez vite et à peine arrivé à l’hôtel Demouth, où je l’accompagnai, il m’exprima le désir de voir le jour même le prince Gortchacow. Je crus devoir lui faire observer que c’était peut-être présumer de ses forces que de traiter, sans un moment de repos, avec le chancelier, et que celui-ci avait bien voulu venir lui-même la veille au soir me dire qu’il se rendrait le surlendemain à Saint-Pétersbourg pour lui épargner ce petit voyage. Mais j’ajoutai que, prévoyant son désir, j’avais insisté d’avance auprès du prince Gortchacow, qui le recevrait à une heure à Tsarkoë-Selo, s’il voulait y venir, et je lui offris ma voiture pour le conduire au Palais, et ma maison pour s’y reposer entre l’arrivée des trains.

M. Thiers accepta ma proposition ; il était alors huit heures et demie du matin, et nous devions partir à midi et demi pour aller à la gare du chemin de fer. M. Thiers me dit qu’il désirerait, jusqu’à l’heure de son déjeuner, auquel il m’invita, visiter les galeries de l’ermitage, qui n’ouvraient qu’à dix ou onze heures ; mais, grâce à la complaisance du directeur, M. Guédéonow, il obtint d’y faire une visite qui ne dura pas moins de deux heures et qui parut l’enchanter. Les fameux Rembrandt de cette magnifique collection, deux tableaux de Raphaël, entre autres le Saint Georges terrassant le dragon, et, dans la galerie des. Antiques, un vase d’argent, du Ve siècle avant l’ère chrétienne, représentant, si je m’en souviens bien, un cheval se cabrant, en argent repoussé, eurent le don d’exciter son admiration. Je me rappelle même que ce dernier objet, dont il crut, en quelque sorte, avoir découvert le mérite, vis-à-vis du conservateur du musée qui nous accompagnait, impressionna vivement son goût artistique. Il revint le voir souvent pendant son séjour, et on m’assure qu’il en demanda un moulage qui lui fut envoyé plus tard par la direction du musée impérial.

Après cette visite, nous partîmes pour Tsarkoë-Selo. J’avais commencé et je continuai pendant la route à le mettre au courant des dispositions qu’il allait trouver dans le cabinet de Saint-Pétersbourg, et je crus devoir le prémunir contre l’optimisme