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trop éloignés à qui s’y prépare par la patience. » Sa lenteur a fait des miracles. Quand elle prit possession du trône, tout était en suspens ; l’âme anglaise n’avait encore aucune forme déterminée ; c’était un chaos à débrouiller. La guerre civile, la guerre religieuse était sans cesse sur le point de se rallumer.

Sommes-nous catholiques ? sommes-nous protestans ? » se demandaient les Anglais. Elisabeth accommoda la Réformation à leur goût ; par l’Acte d’uniformité elle institua l’Église anglicane, et ils purent se flatter d’avoir une église vraiment nationale.

Qui est notre souverain légitime ? » demandaient-ils encore. Elle répondait : « Ne perdez pas votre temps à discuter mes titres, je justifierai mon accession au trône en vous procurant de grands biens, en vous aidant à découvrir de nouvelles sources d’activité et de bonheur. » Elle fit ce qu’elle avait dit, et le temps arrangea tout. « Les années se passent, ajoute M. Seeley, et une nouvelle génération surgit, qui étant née et ayant grandi dans la paix, a un autre tour d’esprit. C’est une génération plus saine et plus allègre. Les uns découvrent des îles lointaines, quelques-uns se plongent dans les études universitaires, quelques-uns inventent des systèmes de philosophie, d’autres écrivent des sonnets, d’autres des pièces de théâtre... Toute la vie moderne et la grandeur de l’Angleterre procèdent de ce règne de quarante-quatre ans, pendant lequel tant de pensées nouvelles furent conçues, tant de vieilles pensées furent oubliées... Cette reine qui avait épousé son peuple est la vraie mère de toutes les générations qui se sont succédé sur le sol de l’Angleterre.»

Les destinées des peuples sont sujettes à de grandes péripéties, et il n’est pas de progrès si continus qu’ils ne soient interrompue par des temps d’arrêt et de recul. Après la mort d’Elisabeth, on put croire que son œuvre ne lui survivrait pas. L’héritier de sa couronne, celui qu’Henri IV appelait maître Jacques, se piquera d’être le plus savant théologien de l’Europe. Les querelles religieuses se raniment, et bientôt des révolutions éclatent, suivies de restaurations imprévues, auxquelles succède une nouvelle révolution plus imprévue encore, qui sera la dernière.

Cependant, en dépit des apparences, les Anglais n’ont rien oublié de ce qu’ils avaient appris sous le règne d’Elisabeth, et quel que soit le gouvernement qu’ils se donnent, il est tenu de travailler à leur grandeur maritime. Cromwell, qui dogmatisa toujours et aspirait à devenir le chef d’une ligue d’États protestans, les met en possession de la Jamaïque, et par l’Acte de navigation il assure à leur marine le monopole de leur commerce. Charles II, qui n’a d’autre souci que de se procurer de l’argent et qui en prend de toutes mains, pense se créer des droits à leur complaisance en déclarant la guerre aux Hollandais, leurs redoutables