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actuel de l’instruction-publique, et si nous l’avons déjà dit, il nous faut ici le redire : son insuffisance lui vient surtout d’être composé presque uniquement d’universitaires : de professeurs et de gens de lettres. Disons-le donc naïvement, — nous qui n’avons jamais été qu’un « gens de lettres » et qu’un « professeur, » — il est inadmissible qu’une réunion de professeurs et de gens de lettres, quand d’aventure il s’y serait glissé quelques chimistes ou quelques instituteurs, tranche à elle seule et presque souverainement, tant de questions, si délicates et si complexes, que soulève le problème de l’éducation nationale. Il y a des choses que ne connaissent ni les professeurs ni les gens de lettres, pour ne les avoir apprises que dans les livres, et n’y avoir jamais été mêlé d’une manière effective, agissante, et pratique. Hommes d’étude et de cabinet, un certain sens de la réalité leur manque, ce sens qui permet aux hommes d’action d’apercevoir comme en raccourci, dans les résolutions qu’ils prennent, les conséquences de ces résolutions. Savent-ils seulement les qualités qu’un grand industriel aimerait à trouver dans ses jeunes ingénieurs ou les chefs de la magistrature dans un docteur en droit ? « Le Conseil supérieur, — disait encore Jules Ferry, qu’on ne se lasse point de citer, — ne doit être qu’un conseil d’études ; sa mission est par-dessus tout pédagogique ; c’est le grand comité de perfectionnement de l’enseignement national. » Oui, peut-être ; — et encore faudrait-il discuter ! — si l’État n’avait pris que l’« enseignement» ou l’ « instruction » en charge. Mais il a pris aussi l’éducation, de la nullité de laquelle il est assez plaisant de l’entendre aujourd’hui se plaindre, dans les Rapports de ses fonctionnaires ! Et je crois avoir montré, l’an dernier, que, de tant de causes qui ont contribué depuis quelque temps à consommer le divorce de l’« éducation » et de l’ «instruction », la composition actuelle du Conseil supérieur de l’instruction publique n’a pas été la moindre. Dans ces grandes questions, qui sont des questions sociales, dont il n’y a pas un politicien qui ne sente confusément l’importance, où il y va des intérêts les plus généraux du pays, le Conseil supérieur n’a guère vu que des questions de pédagogie pure, et c’est ce qui suffit à le condamner.

Reste à savoir comment et par quel Conseil on le remplacera. C’est là le point : car il est évident que, si la « réforme » n’aboutissait, comme on le craint, qu’à en éliminer quelques « directeurs » ou quelques « inspecteurs généraux » pour leur substituer quelques députés et quelques sénateurs, nous aimerions autant que l’on n’entreprît point de le modifier. Laissons les députés à la Chambre, où ils font de si bonne besogne, et les sénateurs au