Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/666

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Besançon, comme Dijon, ont conservé jusque de nos jours, avec une physionomie personnelle, un goût héréditaire des choses de l’esprit, c’est d’elles, et non pas de Lyon, ni de Marseille, qu’il faudrait faire des villes d’Universités ou d’études. Nos futurs médecins, — qui semblent être parfois les seuls à qui l’on ait songé dans toute cette affaire, — y trouveraient sans doute moins de cadavres à disséquer, mais nos futurs professeurs, ou nos futurs jurisconsultes y trouveraient en revanche plus de calme et de recueillement, moins de distractions, moins de « cafés-concerts », et plus de loisirs. Puisqu’on ne parle tout autour de nous que de « décentralisation intellectuelle », l’occasion serait belle d’essayer ; et, pour conserver quelque chose de son ancienne gloire, je sais plus d’une ville, comme celles que j’ai nommées, qui feraient au besoin plus de sacrifices qu’une plus grande. Mais la constitution des Universités produira l’effet précisément contraire. Nous payons déjà nos étudians pour les instruire, et je n’oserais pas l’affirmer, mais je crois que c’est ce qui ne se voit qu’en France. Les grandes Universités les paieront plus cher pour les attirer à elles ; et comme d’ailleurs elles leur proposeront de les « amuser » en même temps que de les instruire, ils s’empresseront de répondre à l’appel. Quel avantage y voit-on bien ? Et, comme dit Molière, se crève-t-on un œil pour y mieux voir de l’autre ? se coupe-t-on un bras ? et où l’on trouve de la vie, quelle est cette politique étrange que de l’éteindre, — afin qu’elle soit plus intense ailleurs ?

Mais voici qui est plus fâcheux et plus grave encore. Si l’on a certainement beaucoup fait, depuis tantôt vingt ans, pour l’enseignement supérieur, on a beaucoup moins fait pour l’enseignement secondaire. C’est un tort, et un grand tort. Car, — à moins que l’on ne connaisse des moyens de « former » des Claude Bernard et des Pasteur, — l’enseignement supérieur, en dépit de son nom, a chez nous pour fonction principale de former des médecins, des avocats, des avoués, des notaires, des pharmaciens et des professeurs ; et c’est donc ce que l’on appelle un enseignement professionnel. On y mène grand bruit de la «solidarité des sciences » et de la nécessité de les enseigner toutes ensemble « dans toute leur étendue ». « Ces barrières artificielles mises entre les différentes parties de la science, — s’écriait naguère M. Léon Bourgeois,

— sont non seulement contraires à l’idée philosophique de

l’unité de l’esprit humain, mais elles sont contraires aux nécessités mêmes de la découverte et de la recherche scientifique, qui s’affranchit elle-même de ces lisières et de ces liens. » A quoi nous ne répondrons pas que, si la « recherche scientifique » s’en affranchit « elle-même, » il n’est donc pas besoin de l’y aider. Mais, en