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la loi des Universités est sa loi, — nous y a donc montré le dessein « d’assurer dans une démocratie libre et laïque l’unité des consciences et des volontés ; » ce qui serait sans doute un grand bien. L’autre, — qui s’entendait probablement lui-même, ou du moins j’aime à le croire, mais qui n’a d’ailleurs oublié que d’éclairer sa lanterne, — nous promettait que de la constitution des Universités nous allions voir se dégager « la formule de l’enseignement supérieur ! » Il exprimait en même temps l’espérance que les Universités s’inspireraient « des idées propres à chaque région de la France » ; et voulait-il dire par là qu’à Lyon, par exemple, on n’enseignerait pas la même chimie qu’à Bordeaux ? On a chacun sa manière d’entendre l’« unité » des consciences et des volontés ! Mais un troisième développait à nos yeux éblouis l’utilité qu’il y a pour un jurisconsulte ou pour un historien de ne pas ignorer la synthèse des alcools ou la physiologie du cerveau. Que ne parlait-il aussi, tandis qu’il y était, de l’avantage qu’il y aurait pour un chirurgien à connaître l’histoire de la querelle des investitures ? Ce qui nous dispense heureusement d’examiner toutes ces raisons, c’est qu’elles ne sont point des raisons, à vrai dire, mais des phrases. Rien n’empêche dès à présent, et rien n’a jamais empêché les jeunes gens qui faisaient leur médecine à Grenoble ou à Rennes d’y suivre, s’ils le voulaient, un cours de droit romain ou de littérature grecque ; et nous n’avons pas besoin pour cela d’Universités ! Il n’y a pas de « formule de l’enseignement supérieur ! » La science, qui n’a pas d’opinion, ne peut rien sur les consciences ni sur les volontés, lesquelles ne sont en tout homme que le lieu où la manifestation de ses opinions. Et de là je conclus que la loi sur les Universités n’est vraiment, à tous ces égards, qu’un mirage et qu’un leurre.

Ah ! si peut-être il s’était agi de créer des Universités « autonomes et indépendantes », à l’allemande ou à l’américaine, nous en eussions pu discuter l’idée ! Mais qu’est-ce que des Universités qui ne disposeront ni de leur budget, ni de leurs programmes, ni du choix de leurs maîtres ? « L’indépendance d’un établissement d’enseignement supérieur, — disait M. Challemel-Lacour dans la séance du Sénat du 10 mars 1892, suppose deux conditions : qu’il est dans une large mesure maître de son budget, et qu’il est maître de son programme. Eh bien, de ces deux conditions, vos Universités n’en obtiendront aucune ! » On ne saurait mieux dire, mais on peut dire davantage ; et, pour nous, une condition plus nécessaire encore, le grand ressort, le principe d’indépendance et de vie d’un « établissement d’enseignement supérieur,» c’est le droit de choisir et de nommer ses maîtres. Mais s’il faut que les chaires continuent d’être à la nomination du