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éclatant a couronné chacune de ses entreprises que l’opinion avait fini par s’accréditer que rien ne lui était impossible en Afrique. L’échec retentissant de la dernière expédition contre les Boers forme un contraste saisissant avec les triomphes répétés des années précédentes : l’opinion publique est déroutée et se demande comment des hommes, qui avaient donné tant de preuves de leur esprit politique, ont pu mesurer aussi mal les difficultés de l’invasion qu’ils ont tentée au Transvaal. Nous ne parlons pas du côté moral qui, dans toute l’affaire, a si évidemment contribué à l’avortement de l’aventure et à la déroute de ceux que l’empereur d’Allemagne a désignés dès le premier jour du nom de flibustiers. Les envahisseurs ont confondu les Burghers avec les nègres ; le président Krüger leur a fait voir qu’il n’était pas le roi Lobengula.

Les rapports successivement présentés aux assemblées générales des actionnaires de la Chartered nous donnent un tableau fidèle du développement de l’entreprise. Quelle chose étrange, si l’on veut prendre la peine d’y réfléchir, que cette mise en actions d’un morceau de continent, — fût-il noir ! Dès l’origine, il ne s’agit pas de moins de 500 000 milles anglais carrés, c’est-à-dire plus que la France et l’Allemagne réunies. Personne, parmi les plus ardens partisans de cette forme toute moderne de l’association, la compagnie par actions, n’eût rêvé cette conquête d’un nouveau genre, qui permet à chacun, en achetant au cours du marché un intérêt dans l’entreprise, d’acquérir indirectement une part de propriété et de souveraineté sur un vaste empire. Le titre d’actions remplaçant les canons et les fusils ! l’échange à la Bourse se substituant aux batailles rangées ! Voilà à coup sûr une transformation aussi étrange que profonde des modes de combat connus et pratiqués jusqu’ici.

Dès le début, les administrateurs annoncent l’assemblée générale qu’ils se sont partout assuré les droits miniers. Ils l’informent que le 30 octobre 1888 le roi du Matabeleland, Lobengula, en son kraal royal, a donné à MM. Budd, Maguire et Thompson une concession de tous les droits miniers sur son territoire, qui ne fait pas encore partie de celui de la Chartered, mais dont l’annexion future ne fait pas de doute dans l’esprit des conquérans. Le capital d’un million a servi à désintéresser en partie les apporteurs de concessions et d’actions d’autres entreprises, jusqu’à concurrence de 54 900 titres ; le reste a été souscrit.

Le premier souci de la Compagnie est de prolonger au nord le chemin de fer qui, partant de Capetown, s’arrêtait alors à Kimberley, centre de la fameuse exploitation diamantifère connue