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mes amis, car j’ai écrit des lettres, et aucune ne parait être parvenue. J’avais laissé à Duseigneur des inscriptions de rente, parce qu’il est le seul de nous autres qui ait un secrétaire fermant bien et ne redoute pas la saisie et qu’il est soigneux. Je l’ai prié d’Aix et de Nice de les vendre et de m’envoyer l’argent à Naples : je ne me rappelais plus son numéro dans la rue de l’odéon. De sorte qu’à Naples je n’ai rien reçu. J’ai vécu en lazzarone pendant dix jours. S’il ne les a pas vendus pourtant, c’est très heureux, car ces rentes ont hausse depuis ; s’il les a vendues et a reçu l’argent trop tard pour me l’envoyer, priez-le donc, si vous le voyez, de ne pas me l’adresser à Agen, comme je lui ai écrit il y a deux jours, mais de me le garder : j’en ai reçu d’autre part. Veuillez envoyer cette lettre à lui d’abord, si vous savez son numéro : c’est depuis 20 jusqu’à 30, je crois, rue de l’Odéon. Pardonnez-moi votre peine et mon griffonnage, — et adieu.

GERARD LABRUNIE.

Si vous voyez Pétrus et Théophile, dites-leur qu’on les lit dans tous les cabinets de lecture d’Italie.

Théophile Gautier, l’heureux Théophile à ce point répandu en Italie, avait servi tout naturellement de trait d’union entre son ami Gérard et Renduel, car lorsqu’il avait lié lui-même des relations avec Renduel il n’était guère âgé que de vingt ans et venait de troquer le pinceau contre la plume. Il avait déjà jeté sur le pavé de Paris deux petits volumes : un recueil de Poésies, dont son père avait payé l’impression et qui avait paru chez Rignoux le jour même où éclatait la révolution de 1830, puis une « légende théologique » : Albertus ou l’Ame et le Péché, que Paulin avait publiée en 1832 avec une eau-forte de Célestin Nanteuil. Ce second volume, ou se trouvait refondu le premier, resté tout entier pour compte à l’auteur, avait fait assez de bruit pour bien poser dans le Cénacle le nouveau disciple auquel resta attaché le surnom d’Albertus. « Ceci se passait vers 1833, écrit Gautier sur lui-même. Chez Victor Hugo, je fis la connaissance d’Eugène Renduel, le libraire à la mode, l’éditeur au cabriolet d’ébène et d’acier. Il me demanda de lui faire quelque chose, parce que, disait-il, il me trouvait « drôle ». Je lui fis les Jeune-France, espèce de précieuses ridicules du romantisme, puis Mademoiselle de Maupin, dont la préface souleva les journalistes, que j’y traitais fort mal. Nous regardions, en ce temps-là, les critiques comme des cuistres, des monstres, des eunuques et des champignons. Ayant vécu depuis avec eux, j’ai reconnu qu’ils n’étaient pas si noirs qu’ils en avaient l’air, étaient assez bons diables et même ne manquaient pas de talent. »

Mon cher Lovelace,

Voici une stalle d’orchestre. — Je prétends que vous m’en ayez la plus grande reconnaissance ; je n’ai pas de billets, pour ainsi dire, et mets dehors