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que j’en étais au contraire très convaincu, et que cette guerre ne serait probablement pas la dernière de celles qui éclateraient entre les deux pays. Dans cette situation, m’a-t-on dit, Metz est un glacis derrière lequel on peut mettre cent mille hommes. Nous avons donc dû le garder. J’en dirai autant de l’Alsace et de la Lorraine. C’est une faute que nous aurions commise en vous les prenant, si la paix devait être durable, car pour nous ces provinces seront une difficulté. — Une Vénétie, ai-je répondu, avec la France derrière ? — Oui, m’a dit le chancelier ; une Vénétie, avec la France derrière. »

« Les paroles de Votre Excellence, — ai-je cru pouvoir répondre au prince de Bismarck, en le priant d’excuser ma franchise, — me semblent prouver une chose ; c’est que nous sommes plus logiques qu’elle. Vous avez signé la paix et votre langage est celui de la guerre. Nous avons signé la paix et, malgré les accusations que je viens d’entendre, nous en pratiquons la politique. Nous tenons nos engagemens, nous devançons même le terme de nos échéances. Nous ne vous demandons qu’une chose, c’est de hâter, autant que possible, l’évacuation de notre territoire. Vous venez de voir bien des blessés, vous savez que ce qui irrite la plaie, c’est la présence du corps étranger dans la blessure. Vous êtes pour la France sanglante et meurtrie ce corps étranger. Nous n’avons rien contre vous, en tant qu’Allemands : les deux nations ne sont pas prédestinées à s’entre-tuer. Ce sont deux fortes races, d’aptitudes diverses, mais qui devraient vivre côte à côte en bonne intelligence, unies par les liens d’une civilisation commune, si la fatalité ne les avait pas jetées l’une sur l’autre. C’est le devoir des gouvernemens de les calmer, et c’est ce que nous faisons. Rationnellement, vous ne pouvez nous demander davantage. Vous nous avez imposé des conditions de paix d’une dureté exceptionnelle et jugées telles par toute l’Europe. Nous ne pouvons en témoigner notre satisfaction aux yeux du monde entier. Ce que vous pouvez vouloir de nous, c’est d’être ce que nous sommes, patiens, résignés, ponctuels à nous acquitter de nos obligations.

« — Mais, a répondu le prince de Bismarck un peu radouci, le langage de M. Thiers à la tribune n’est jamais affirmatif pour le maintien de la paix » ; et comme je protestais hautement, en ajoutant qu’il n’y avait qu’à relire son dernier discours pour être convaincu du contraire. « D’ailleurs, a repris le chancelier, son pouvoir est contesté chaque jour. Pouvez-vous me dire avec certitude qui gouvernera demain la France ? Au surplus, comme je l’ai déjà dit, l’opinion est plus forte que lui, et dans ce moment même, il s’organise une ligue à Paris intitulée Ligue de