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au printemps beaucoup de baptêmes dans la rivière Noire. Si le temps le permet, vous en verrez, mais on ne peut exposer ces pauvres gens à prendre une fluxion de poitrine ! Ce qui vous amuserait, c’est un mariage. Le mariage nègre est célébré à domicile par un de leurs ministres. Celui-ci, les mains dans ses poches, leur dit que l’état où ils vont entrer est un bon état, honoré dans le ciel et sur la terre. La mariée pudique ne s’est pas demandé si elle a le droit de mettre une robe blanche et de s’attacher autour de la tête le ruban virginal bleu et argent. Je vous parle des dernières noces auxquelles nous ayons assisté. L’époux portait un habit beaucoup trop court de taille dont on lui avait fait cadeau, une paire de gants de cheval usés du bout, autre cadeau. Le couple s’assit sur deux chaises dans le premier compartiment de la case ; on fit asseoir les principaux invités sur les lits, le reste se tenait debout, et on procéda ainsi à la cérémonie. Ensuite tout le monde passe dans la pièce voisine pour manger le dindon traditionnel et des sucreries. Les nègres réellement pieux ne dansent pas en ces occasions, eussent-ils déjà beaucoup d’enfans de provenances diverses.

Et Octave Thanet rit de son rire si gai, si communicatif, en racontant ces choses choquantes, sans ombre de pruderie.

De son côté, le colonel me parle très simplement de son installation à Clover Bend, il y a vingt-cinq ans environ. Officier de l’armée fédérale, il se rendit acquéreur, pour la moitié, de la plantation qui avait appartenu à un major confédéré. L’autre moitié fut achetée par le colonel Allen, de Davenport. Dans ce temps-là, les arbres de Clover Bend auraient pu raconter des histoires récentes de pendus. Sous prétexte de servir la cause expirante du Sud, les Graybacks, des déserteurs pour la plupart, avaient longtemps incendié, pillé, tué sans merci. Il y eut contre eux des représailles terribles, et les propriétaires coalisés finirent par purger le pays de ces bandits. Mais où trouver ensuite des ouvriers ? Les anciens esclaves s’étaient dispersés après l’abolition de l’esclavage, on était réduit aux services éventuels des rudes travailleurs du Missouri. qui, vers l’époque de la cueille du coton passent avec toute leur famille, — les petits enfans à califourchon dans une sangle, sur la hanche de la mère. Ils vont ainsi droit à l’extrême Sud où la récolte commence plus tôt, puis ils remontent, se louant ici ou là ; quelquefois les mêmes reviennent plusieurs années de suite. La besogne se faisait tant bien que mal par leurs mains, mais, l’heure de la paye venue, c’étaient des menaces de coups de couteau pour obtenir plus que le prix convenu, et le propriétaire était contraint de répondre le revolver