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de bois et dresseur de chevaux, pour une jolie négresse du nom de Ginevra, en patois Jenny Ver, a raison du terrible enchantement. A travers mille périls peut-être imaginaires, il délivre la cuisine, et sa récompense ne se fait pas attendre. La belle à une manière d’éducation, elle a été en service dans la ville voisine, et le pauvre Jerry ne sait, lui, ni lire ni écrire ; de plus, il a des jambes qui paraissent désossées tant il les contorsionne et les entrelace d’une façon dangereuse pour son équilibre tout en se tordant les épaules et en faisant avec la tête un plongeon facétieux. Jenny Ver n’a jamais pu le regarder sans rire, mais tout en riant elle lui permettra à la fin de « lui tenir compagnie ».

Le Premier Maire à une portée plus sérieuse. Nous avons là l’image ressemblante d’un « fils de ses œuvres », meneur d’hommes par la puissance de l’argent, le tableau de sa grandeur et de sa décadence. Au milieu d’un village à peine éclos, sur le bord du Mississipi, se dresse d’abord un hôtel, aux fenêtres innombrables, et plus haut encore que l’hôtel, d’énormes bâtimens de brique, moulin et magasin, au faîte desquels flotte un drapeau rouge portant le nom d’Atherton. C’est le nom du maire, le premier maire de la ville, toujours réélu avec enthousiasme pendant une longue suite d’années, un individu puissant et vulgaire tout à la fois, un spéculateur hardi dont la fortune commencée dans le trafic avec les Indiens s’est continuée dans des affaires colossales de toute sorte, et dont les poings sont de force à répondre aux horions de quelques fâcheux qui lui reprochent de les avoir ruinés pour s’enrichir à leurs dépens. Cœur chaud et généreux avec cela, oublieux des offenses, il est capable de se jeter à l’eau pour sauver un ennemi ; en temps de choléra, sa maison devient un hôpital ; il a débarrassé le pays des bandits qui le pillaient, payant pour cela de sa personne, le revolver au poing, puis payant de sa bourse un jury, un bourreau et la corde ; il a fondé des écoles, lui à qui sa première femme, une institutrice primaire, a enseigné tout ce qu’il sait ; il dotera peu à peu la ville grandissante d’un parc, d’un cimetière, de plusieurs monumens publics, et alimentera toutes les églises quoiqu’il n’en fréquente aucune. Le journal est à lui, les chèques de Florence qu’il a lancés valent partout de l’or, bien que Florence ne soit peut-être qu’un mirage vaguement désigné dans le Nebraska. Si l’on croit fort peu en Florence, on croit en Alberton qui, par des moyens douteux, atteint des fins admirables. Toute cette prospérité a des bases fragiles, en somme. Il suffit d’un désastre financier, d’une série de mauvaises chances, après tant de coups heureux, pour que la fortune de la ville s’écroule avec