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corps ; on essaya de brûler les membres ; et enfin, ce qui restait du cadavre demi-carbonisé fut encore traîne et dépecé par les rues et les carrefours de la ville.

Luçon, allant chez le nonce, devait justement passer par le Pont-Neuf. Il se trouva, dans son carrosse, engagé au milieu de cette foule hurlante et trépignant : « Les cochers étant peu discrets, le mien en chapitra quelqu’un qui commença à vouloir émouvoir noise sur ce sujet. Au même instant, je reconnus le péril où j’étois, en ce que si quelqu’un eût crié que j’étois un des partisans du maréchal d’Ancre, leur rage étoit capable de les porter aussi bien contre ceux qui, aimant sa personne, avoient improuvé sa conduite, comme s’ils l’eussent autorisée. Pour me tirer de ce mauvais pas, je leur demandai, après avoir menacé mon cocher extraordinairement. ce qu’ils faisoient ; et m’ayant répondu selon leur passion contre le maréchal d’Ancre, je leur dis : « Voilà des gens qui mourroient au service du roi ; criez tous Vire le roi ! » Je commençai le premier, et ainsi j’eus passage ; et me donnai bien de garde de revenir par le même chemin ; je repassai par le pont Notre-Dame. »

La reine mère était restée chez elle, entourée de Mme de Guise. de la princesse de Conti, de Mme de Guercheville et d’autres dames de la cour. N’ayant pas de nouvelles du roi, felle envoya vers lui son écuyer, Bressieu. On dit à celui-ci que la reine se tînt tranquille et que le roi la traiterait comme sa mère ; mais « qu’il vouloit désormais être roi. » On changea les gardes de la reine mère et on les remplaça par les gens de Vitry. Elle demeura donc enfermée et, en réalité, prisonnière. Cette captivité dura neuf jours. Cependant, au bout de quatre ou cinq jours, quand le premier feu de la colère fut apaisé. le roi consentit à entrer en pourparlers pour régler la situation qu’on allait faire à Marie de Médicis, mais tout en refusant toujours de la voir.

C’est ici que Luçon apparaît dans le nouveau rôle qui va être le sien pendant des années, celui de conseiller et de favori de la reine mère. Concini mort, sa femme prisonnière, Barbin écarté, Marie de Médicis, qui ne pouvait être seule, n’avait plus que Luçon. Il fut l’intermédiaire des négociations. Luynes n’était pas fâché de se servir de lui et de le ménager. Ainsi, dans ce désastre, il sut prendre immédiatement un rôle qui lui gardait, en somme, une certaine figure et qui le rendait utile aux deux partis. La négociation fut adroitement conduite. Il fut décidé que la reine irait en son château de Moulins, qu’en attendant que les réparations fussent faites, elle pourrait s’arrêter à Blois ; qu’elle ne serait accompagnée que de ceux qu’elle voudrait ; qu’elle aurait pouvoir absolu non seulement dans la ville de sa résidence, mais dans