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multipliant, à grand bruit, les protestations de fidélité. Le roi distingua l’évêque parmi ces porte-épée. Du plus loin qu’il le vit, il l’appela et lui cria : « Eh bien, Luçon ! enfin me voilà hors de votre tyrannie. » Sans le laisser répondre, le roi ajouta : « Allez, allez, ôtez-vous d’ici. » Le prudent Luynes, était près du roi, intervint. Il donna l’assurance que Luçon avait toujours bien conseillé la reine-mère et Concini. L’évêque se sentait sauvé ; il parla à son tour et même, si on l’en croit, avec quelque dignité, puisqu’il essaya d’intervenir en faveur de ses collègues, Barbin et Mangot. Mais on ne voulut pas l’entendre. Le roi lui dit seulement de se rendre au Conseil, où déjà s’étaient réunis les ministres nouveaux, qui n’étaient, en somme, que les anciens ministres revenus en faveur : du Vair, Villeroy, le président Jeannin. Il semble que Luçon se soit fait l’illusion de croire qu’il pourrait encore siéger parmi eux. Mais le vieux Villeroy, qui n’avait pas oublié tant d’avanies qu’on lui avait fait subir, demanda, dès qu’il le vit entrer, en quelle qualité l’évêque se présentait. Celui-ci ne dit mot ; personne ne lui parlait ; il se tint un moment debout près de la porte et, selon sa propre expression, « se retira doucement. »

Rentré chez lui, il put philosopher à loisir « sur l’inconstance de la fortune et le peu de sûreté qu’il semble qu’il y a aux choses qui paraissent être assurées en la condition humaine. » Il apprit, en effet, que Mangot avait été arrêté par l’ordre du roi, que Barbin, qui, dans toute cette affaire, s’était conduit bravement, avait des gardes en son logis, que personne ne lui parlait et qu’il était question de lui donner des juges.

Dans la journée du lendemain, un spectacle auquel il assista par hasard lui découvrit plus encore la grandeur du péril et toute l’horreur de la situation.

Le corps du maréchal d’Ancre, relevé dans la cour du Louvre, avait été dépouillé, et, nu, mis en un drap dont les deux bouts furent attachés par une ficelle, puis traîne sous les marches d’un escalier près de la porte. La nuit venue, on l’avait porté à Saint-Germain-l’Auxerrois et enterré secrètement, sous les orgues. Mais le peuple de Paris eut vent de la chose et, dans le désordre qui accompagne ces grandes catastrophes, la violence n’ayant plus de frein, la foule s’était précipitée dans l’église, avait déterré le corps et, l’ayant traîné sur le Pont-Neuf, l’avait pendu par les pieds à une potence « qu’il y avoit fait planter lui-même pour faire peur à ceux qui parlaient mal de lui. » Là, sur ce cadavre, le peuple assouvit sa haine et se livra à la plus horrible boucherie. On lui coupa le nez, les oreilles, et le reste, on jeta les entrailles dans l’eau, on fit rótir des morceaux de chair découpés dans ce