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les inconvéniens de la fausse situation où s’était mis le gouvernement du maréchal et le manque d’autorité de ses ministres, tant au dedans qu’au dehors.

Les ambassadeurs de Venise sentaient qu’ils avaient barre sur le jeune secrétaire d’État, et maintenant qu’ils avaient perdu la partie dans l’affaire des Grisons, ils ne cherchaient qu’à prendre leur revanche dans celle de la médiation. On les abandonnait par crainte de mécontenter l’Espagne : avec une promptitude rare, ils se retournent vers l’Espagne, et c’est à la grande ennemie, à la rivale éternelle qu’ils demandent le moyen de punir Luçon de sa témérité.

Celui-ci, en effet, poursuivait officiellement, auprès d’eux et auprès de toutes les puissances, les propositions relatives à la médiation de la France pour le règlement définitif des affaires d’Italie.

Le plan d’ensemble, définitivement arrêté, est exposé dans une lettre que le ministre adresse aux représentans de la France dans les cours intéressées : « Je vous dirai que le désir qu’a le Roi de pacifier les troubles de l’Italie et rétablir le repos par toute la chrétienté l’a fait résoudre de traiter par lui-même ce que jusqu’ici il a fait par ses ambassadeurs. Pour cet effet, il s’est résolu d’attirer la négociation de la paix d’Italie auprès de lui, estimant qu’on déférera à sa présence ce que jusqu’ici on n’a pas fait à ses ambassadeurs. Il envoie à cette fin le sieur comte de Larochefoucauld en Espagne pour obtenir que cette affaire se traite ainsi qu’il le désire et juge expédiant. Sa Majesté a semblablement écrit au duc de Savoie, aux Vénitiens et à tous ceux qui y tout intérêt pour leur faire goûter cette proposition que Sa Sainteté agrée, trouvant bon, ou d’envoyer un légat à cette fin, ou de donner commission expresse à son nonce qui est auprès de Sa Majesté. Nous espérons que ce traité réussira au bien de la chrétienté, au repos de l’Italie et à la gloire de Sa Sainteté et du Roi qui l’entreprennent. »

A Paris, l’évêque de Luçon saisit les ambassadeurs vénitiens, le 22 janvier. Il semble garder une certaine illusion sur les sentimens de ceux qu’il vient de blesser si profondément dans l’affaire des Grisons : mais nous qui lisons les lettres adressées par ces diplomates à leur gouvernement, nous savons ce qu’ils pensent et combien ils sont ulcérés. Aussi leur avis ne se fait pas attendre.

Le 24 janvier, ils écrivent à Venise pour engager la République à ne pas laisser la négociation se transporter à Paris. Ils ont même déjà amené l’envoyé du duc de Savoie à leurs vues et ils trouvent un excellent argument pour vaincre, s’il y a lieu, les hésitations du Sénat : « Nous sommes d’accord avec l’envoyé du duc