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Partout en Europe, l’attitude qu’on va prendre, et qui se dessine déjà dans ces instructions, est conforme à ces principes : « Est-ce mépriser nos alliances pour l’Espagne que de rechercher la main du prince de Galles pour une des filles de la Reine, que d’entretenir aux États de Hollande 4 000 hommes de pied pour leur conservation, que de donner à la République de Genève une pension de 24 000 écus ? Est-ce mépriser nos anciennes alliances en Italie que de se porter à la défense du traité d’Ast, après avoir été les médiateurs de sa conclusion ? On dit que nous abandonnons le duc de Savoie : qu’on nous montre l’Anglois, le Hollandois, l’Allemand qui se trouve en l’armée du duc de Savoie. Cependant ce sont ces nations qui nous blâment, plaisamment à la vérité… Est-ce mépriser nos anciennes alliances en faveur de l’Espagne que d’accorder aux Vénitiens le passage des Grisons qu’ils ne peuvent avoir sans nous, et sans lequel l’archiduc de Gratz auroit contre eux de très grands avantages ? »

Il ne reste plus qu’à conclure. Mais c’est le plus difficile. On ne peut passer outre au principal reproche fait par les rebelles au gouvernement de la reine : la faveur du maréchal d’Ancre. Or, comme c’est le point faible de la situation politique dans laquelle les ministres sont engagés, c’est aussi le point faible des instructions. Le maréchal d’Ancre est penché par-dessus l’épaule du rédacteur ; celui-ci atténue, insinue ; il glisse ; mais il appuie trop encore : « Celui dont on parle est bien loin du degré d’élèvement où beaucoup d’autres sont parvenus ; il est seul étranger élevé, (c’est-à-dire élevé aux honneurs), étranger tellement François qu’il ne fait part de sa fortune à aucun autre que François. Combien des meilleures maisons du royaume avancées par son entremise ?… Quel sujet y a-t-il de plainte ? S’il y en a, c’est de ceux qui les font et non de ceux de qui elles sont faites, pouvant dire avec vérité (pour clore ce discours en trois mots que le gouvernement a été et est tel que, si on le considère sans passion, on n’y trouvera rien à reprendre, si ce n’est d’y voir trop de clémence sans rigueur, trop de bienfaits sans châtimens. » Ces dernières paroles sont fières. Prononcées par le maréchal d’Ancre lui-même, elles passeraient pour insolentes ; dans la bouche de ses ministres, elles sont au moins téméraires. On ne fait parler les rois sur ce ton que quand on a en vue des œuvres royales. Mais quand ce sont les favoris qui usurpent ce langage, la « rigueur » n’est pas loin et les « châtimens » ne se font pas attendre.

Telles quelles, les instructions données à Schomberg sont remarquables par la netteté avec laquelle elles affirment l’indépendance de la cour de France à l’égard de l’Escurial. À ce point