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côtés. Avant d’essayer de pénétrer sur leur territoire pour les frapper au cœur, le docteur Jameson avait fortement contribué pour son compte à les tourner par l’ouest et par le nord et à les enfermer dans un cercle infranchissable. Peut-être y auraient-ils vécu tranquillement pendant quelques années encore, sans les mines d’or qui ont été découvertes dans leur sous-sol. Maudite maison d’Albe, disait le Romain d’autrefois, tu me coûteras la vie ! La vie des petits peuples qui ont un beau port, un beau fleuve, ou simplement des mines d’or ou de diamant, n’est pas moins exposée. Le Transvaal n’a pas tardé à être envahi par des aventuriers venus de tous les points du monde. Il va sans dire que nous n’appliquons pas indifféremment ce qualificatif à tous les étrangers, à tous les uitlanders, qui y ont établi leur domicile ; mais tous ensemble, les bons et les mauvais élémens confondus, forment une foule singulièrement animée, agitée, pleine de prétentions et déjà d’exigences, en face de laquelle les Boërs sont en minorité. Ils ne sont plus, dit-on, qu’un tiers de la population. Les uitlanders, — et la majorité de ces derniers est composée d’Anglais, — sentent la force que le nombre leur assure et ils demandent à en user, en attendant le moment d’en abuser. Ils réclament des droits civils et politiques. Payant des impôts, ils veulent les discuter et les voter. Ils font campagne pour entrer dans les assemblées publiques, avec l’espoir d’en être bientôt les maîtres. C’est là une situation très délicate, ou plutôt très grave, qu’il faut bien connaître pour s’expliquer les événemens qui viennent d’éclater, et ceux qui ne manqueront pas, sous une forme encore incertaine, de se produire dans l’avenir.

Il aurait certainement été plus sage, de la part de MM. Cecil Rhodes et Jameson, de laisser au temps le soin de dénouer tant de difficultés, car le temps travaillait pour eux. Il aurait été plus habile, de la part des uitlanders, de se confondre de plus en plus avec les Boërs et d’adopter tous leurs intérêts. Mais les uns et les autres ont préféré la violence à la patience et à la politique. Les uitlanders, invités récemment à prendre part à une campagne contre les Cafres, se sont refusés à le faire, et on les soupçonne même d’avoir encouragé la résistance de l’ennemi noir. C’est ce qui a fait dire très justement au président Krüger que, lorsqu’on voulait obtenir des droits, il fallait d’abord accepter et remplir les devoirs qui y correspondent. De part et d’autre, une vive irritation régnait donc dans la petite république. L’élément le plus actif des uitlanders s’est constitué en Association nationale, en apparence pour faire aboutir légalement les réformes, en réalité pour s’entendre avec les Anglais du dehors et leur faciliter l’invasion du pays. Tout un plan d’opérations a été arrêté, mais il a été mal conçu, ou mal exécuté. Lorsque Jameson, avec ses huit cents hommes, a envahi le territoire du Transvaal, il comptait sans aucun doute sur un soulèvement à Johannesburg. Les uitlanders lui avaient promis le