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la réflexion de Dumas et à la discussion desquelles il nous a fait assister. Elles aussi, elles ont été une fois pour toutes déterminées et délimitées par un fait primitif : l’irrégularité de la naissance de l’auteur du Fils naturel. Le préjugé contre l’enfant naturel était-il alors aussi étroit que le prétend l’écrivain ? Je le crains, et que les choses depuis n’aient guère changé. Dumas a-t-il eu pour sa part beaucoup à souffrir de sa situation irrégulière ? Ce qui est certain c’est qu’il en a souffert. Nature très personnelle et disposée à tout ramener à elle-même, il ne va plus envisager la société qu’au point de vue de ses rancunes particulières, et ne l’interroger que pour lui demander compte des injustices dont elle est coupable à son égard. Il est devenu l’avocat d’une clientèle spéciale. Il défend la veuve dont le mari est vivant et bien vivant et bon vivant, l’orphelin qui a un père quand il n’en a qu’un. Il s’exalte, se porte garant de la vertu de ses clientes, comme du bien fondé et de l’importance des revendications de ses cliens. Homme, écrivain, il ne cesse de développer contre la société le réquisitoire qu’avaient déjà dressé contre elle ses colères d’enfant.

D’envisager toutes choses au point de vue social, cela a pour résultat immédiat de diminuer d’autant la valeur et la portée de l’étude. Elle perd en intérêt durable ce qu’elle avait peut-être gagné en intérêt d’actualité. Hors du temps auquel elle s’applique, elle apparaît dépourvue de signification. On l’a noté maintes fois lors de la reprise des pièces les plus fameuses, non de Dumas seulement, mais aussi bien d’Augier ou de M. Sardou. Ce qui dans le temps de leur nouveauté en avait fait le succès est aujourd’hui ce qui en parait le plus démodé. Nous ne comprenons déjà plus ce que les contemporains y ont trouvé d’émouvant ou de passionnant. Plusieurs ne supporteraient même plus la représentation. L’effort d’un théâtre dirigé contre le mariage indissoluble doit nécessairement sembler sans objet dans tous les pays où le divorce est établi ; or ce sont, à l’heure qu’il est, presque tous les pays de l’Europe, auxquels est venu se joindre le nôtre. Ce théâtre périt ainsi par son propre succès. C’est le malheur de la grande comédie de ce siècle qu’elle a été relative à un ensemble d’institutions destinées, comme elles le sont toutes, à disparaître. Rien ne saurait durer de ce qui s’est établi sur un fond mouvant, changeant et en transformation continuelle. — Il y a plus. Sans doute, attendu que nous faisons partie d’une société dont tous les membres sont solidaires, nous devons compte à cette société de la place que nous y occupons, des services que nous en recevons et de ceux que nous lui rendons en échange. C’est là un ordre d’obligations auquel nul d’entre nous n’a le droit de se soustraire. Mais quand on a examiné nos actes par rapport à leur utilité sociale, on n’a rien dit de leur valeur morale. On en a suivi les conséquences, on ne les a pas regardés en eux-mêmes, on ne les a pas