Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/469

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

applaudissant le vers qu’il avait mal entendu : « Vieil as de pique ! il l’aime !… » Mais qui ne voit que ce n’est pas à Ibsen qu’il convient de comparer Dumas, c’est à Scribe ? Si de la Demoiselle à marier ou d’Une Chaîne à la Femme de Claude il a été fait quelque chemin, il est juste d’en reporter l’honneur à qui de droit.

Laissons au surplus ce débat d’une vaine polémique et contentons-nous de déplorer que ces querelles retardent d’autant l’heure du libre jugement de la postérité. Ce qui est singulièrement plus intéressant au point de vue même de l’avenir de notre littérature dramatique, c’est de se demander quelle influence a eue Dumas sur le développement de notre théâtre et ce qu’il convient d’en retenir ou d’en laisser tomber. Cette influence a été considérable et ceux mêmes qui le regretteraient ne peuvent le nier. Tous les changemens qui se sont faits sur la scène française depuis trente ans s’y sont faits d’après lui ou contre lui, mais par lui. Il y a imposé ses procédés les plus spéciaux comme ses idées les plus particulières et le tour de son dialogue comme les préoccupations de son esprit. C’est cela même qui devait rendre une réaction inévitable, et qui légitime le désir où sont les jeunes écrivains de théâtre de s’affranchir d’une maîtrise si impérieuse. Notons cependant que d’une façon générale le théâtre de Dumas allait dans le sens du développement régulier de notre littérature dramatique et qu’il était l’aboutissement des efforts tentés depuis plus d’un siècle. A travers les théories de Diderot et de Mercier, comme à travers les essais des écrivains de la fin du XVIIIe siècle et du commencement du XIXe, notre théâtre s’acheminait vers une forme de comédie qui substituerait à la peinture des caractères celle des mœurs. Le romantisme avait apporté sa contribution en donnant à la description du décor une importance toute nouvelle. Et ce qui appartient en propre à la génération littéraire de 1850, c’est le souci qu’elle a eu d’étudier le milieu et de marquer le rapport qui fait dépendre chacun de nous des conditions sociales où il a vécu. En ce sens il est juste de dire que Dumas est venu à son heure et qu’il a été l’écrivain d’un temps ou d’un moment.

En outre il a possédé quelques-unes des parties essentielles de son art, et vu très nettement deux conditions en dehors desquelles le théâtre ou n’est qu’une chose morte ou n’est qu’un jeu puéril. On fait aujourd’hui de louables efforts pour bannir du théâtre l’action ; si on n’y arrive pas, cela tient à plusieurs causes, dont l’une est que le théâtre vit justement d’action. Cette action nécessaire au drame, comment d’ailleurs faut-il la définir ? On affecte de croire que nous entendons par là l’intrigue compliquée et factice que Dumas lui-même n’a que trop souvent empruntée à Scribe. Cela n’est pas exact. L’action dont nous voulons parler provient de la lutte qu’un personnage soutient