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arcana imperii, de ces mystères d’Etat sur lesquels le cardinal de Retz recommande sagement de ne pas faire de lumière indiscrète et qui servent à légitimer aux yeux de ceux qui les invoquent certains procédés parfois peu canoniques. Jadis le principe de l’arrondissement du territoire et celui des compensations territoriales joua un grand rôle dans les transactions de la diplomatie européenne. Derrière ces mots à l’aspect pédantesque et lourd, partant honnête, se masquait fort habilement l’insatiable et immorale ambition qui procura les partages de la Pologne. Cette opération auprès de laquelle les excès révolutionnaires ne sont que des jeux d’enfans, même au point de vue de l’ancien droit traditionnel, s’accomplit sans scandale à l’abri de ces périphrases décentes. La morale était sauve, puisque le protocole était respecté. On croit savoir que l’Angleterre n’a pas toujours dédaigné de recourir à ces procédés. Elle a tout un vocabulaire d’expressions parfaitement correctes, dont il ne faut pas trop presser le sens. La route des Indes, la sûreté de l’empire, les intérêts de la civilisation, les droits des minorités opprimées, les privilèges du sujet britannique qui peut fièrement s’écrier : Civis romanus sum, voilà, au courant de la plume, quelques-unes de ces modestes formules sous lesquelles certains voudraient simplement lire partout et toujours la répétition monotone du grand principe de la politique anglaise : Quia nominor leo. La politesse internationale ne veut pas que l’on scrute de trop près ces petits déguisemens. Je ne vois pas très bien pourquoi l’on appliquerait un traitement plus rigoureux à la doctrine de Monroe, qui a du moins l’avantage d’une franchise absolue. La vraie méthode ne consisterait-elle pas, ici comme dans beaucoup de cas, à ne pas procéder à coups de généralités périlleuses et à distinguer soigneusement entre les diverses applications de ce principe ? Pour ma part, dans la crise provoquée par l’évocation de la doctrine de Monroe, crise dont on célébrait prématurément l’apaisement, il y a deux semaines, je dois avouer que je ne regrette nullement l’attitude pleine de réserve et la bienveillante neutralité observées par la France. Il n’y avait vraiment pas lieu à une croisade universelle contre une maxime d’Etat dont la popularité est prodigieuse aux Etats-Unis ; dont la légitimité varie avec chaque espèce à laquelle on l’applique ; et dont l’application, dans le cas donné, visait les prétentions insoutenables, le refus arrogant d’arbitrage, et les récriminations inopportunes d’une puissance comme l’Angleterre.


FRANCIS DE PRESSENSÉ.