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Et l’Europe n’était pas seule menacée. L’Amérique à son tour semblait devoir offrir un nouveau terrain à la propagande armée de la sainte-alliance. — Le contre-coup de la déclaration d’indépendance et de l’insurrection victorieuse des plantations britanniques du nord du continent n’avait pas tardé à se faire ressentir dans les colonies espagnoles. Quand la Révolution française fut venue jeter dans le monde, avec la sublime déraison de son cosmopolitisme, les germes de l’indépendance universelle, les leçons de 1776 ne tardèrent pas à mûrir sous le chaud soleil de 1789. Il devint impossible, pour l’immense empire découvert par Colomb, conquis par Cortez et Pizarre d’admettre comme une loi de la nature l’asservissement absolu d’un continent, son exploitation systématique par la métropole, le criminel abâtardissement, la mutilation intellectuelle et morale de populations et de générations entières. Dans toutes les vice-royautés, depuis la Nouvelle-Espagne jusqu’au Rio de la Plata et au Chili, il y eut comme un frémissement d’espoir et d’attente. Par une ironie de la destinée, c’était contre la France et l’empire universel sorti de sa révolution que devait se faire l’apprentissage de l’indépendance, née des principes de sa déclaration des droits. Les colonies espagnoles n’acceptèrent pas l’usurpation de la créature de Napoléon, du roi Joseph. Dès 1808, une série d’insurrections éclatèrent par-delà l’Océan et détachèrent de la couronne d’Espagne, alors sur le front d’un parvenu révolutionnaire, les plus riches et les plus beaux de ses fleurons. Il semblait que cette révolte fût le triomphe du loyalisme. On vit bien ce que recouvrait ce masque, quand, en 1814, les Bourbons remontèrent sur leur trône à Madrid. Le vice fatal de toutes les restaurations se compliqua et s’aggrava non seulement des particularités ignobles du caractère de Ferdinand VII, mais des conséquences inévitables du système colonial. Ce fut un retour pur et simple à l’ancien régime. Les colonies avaient trop longtemps respiré l’air de la liberté, elles en avaient trop goûté les avantages au point de vue du commerce avec toutes les nations pour se laisser ramener sous le joug imbécile du roi catholique. De 1816 à 1820, les provinces de la Plata, du Chili, du Venezuela donnèrent le signal de la révolte. En 1822, il n’y avait pas une vice-royauté ou une intendance, y compris le Mexique, où ne fonctionnât un gouvernement révolutionnaire. L’Europe suivait avec une attention passionnée ce grand mouvement. La sainte-alliance ne pouvait manquer de se préoccuper de ce dangereux exemple. Quand la France se fit décerner, à Vérone, le mandat d’aller restaurer l’absolutisme ! , le gouvernement du rey netto en Espagne, on put croire qu’elle ne considérerait pas son œuvre comme achevée tant que la monarchie espagnole