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chapelles dissidentes du pays de Galles, retentit, comme sur un ordre d’en haut, de paroles de paix et de bonne volonté, il y a autre chose, il y a plus là que ce qu’une observation cynique et superficielle croit découvrir dans les mobiles les plus bas de la nature humaine. Non : ce n’est pas uniquement, — comme le dit le livre des Actes en parlant des Tyriens et des Sidoniens lorsqu’ils demandèrent la paix à Hérode : Postulabant pacem, eo quod alerentur regiones eorum ab eo, — parce que l’Angleterre puise en Amérique près de la moitié du total de ses matières alimentaires ; ce n’est pas uniquement parce que les États-Unis envoient à l’Angleterre près de la moitié de leurs exportations (1 915 millions de francs contre 2 milliards dans le reste du monde) ; ce n’est pas exclusivement pour ces motifs mercenaires que le peuple anglais a refusé d’envisager la possibilité d’une guerre fratricide. Il faut également écarter comme insuffisante l’explication qui attribue la remarquable longanimité de l’Angleterre à la crainte d’un conflit. Assurément, une guerre ne serait une plaisanterie pour personne à l’heure actuelle, et, moins que pour tout autre, pour un pays dont la prospérité, dont l’existence même dépend absolument de la liberté et de la sûreté de son commerce extérieur. Le peuple anglais n’en est pas moins fort éloigné d’un lâche abandon de soi-même. Il est bien plutôt, — force symptômes en témoignent et, au premier rang, l’explosion provoquée par les événemens du Transvaal, — en proie à une sorte de dangereuse fièvre de chauvinisme. Et d’ailleurs, pour se rassurer, l’opinion n’avait-elle pas, dès le début, vaguement conscience de l’irréalité, de l’artificialité du mouvement belliqueux aux États-Unis ?

Un artiste dont le talent s’est pleinement révélé cet été dans la série de ses caricatures relatives aux élections générales, M. F.-G. Gould, a parfaitement rendu cette impression assez générale dans deux dessins qui lui ont valu les lourdes et pédantes observations d’un littérateur, terrorisé à la pensée de blesser les Américains, lesquels ont pourtant, Dieu merci, assez d’humour et ne se sont pas fait faute de ridiculiser, sous toutes les formes et par tous les moyens, leurs adversaires. Dans le premier de ces dessins on voit Frère Jonathan, déguisé en chef Peau-Rouge, sur le sentier de guerre, en grand costume, se livrer à une sorte de pyrrhique ou de cordace effrénée et se retourner à moitié pour couler sous ses paupières mi-closes un regard qui lui apprenne s’il a produit l’effet voulu. Dans le second, — inspiré de cette scène de l’immortel Pickwick, où Joe, le groom obèse, déclare à la vieille mère de son maître, Mme Wardle, qu’il veut lui donner la chair de poule, on voit un Fat boy, mélange désopilant des traits classiques de Joe et de ceux du président