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Nous apportions, pour les étaler dans les cours,
Ce qu’on taille la nuit, ce qu’on brode le jour,
La pendeloque claire et l’étoffe tissée.
Le plus vieux d’entre nous tenait un caducée :
C’était le maître exact des trocs et des échanges ;
Et la gourde bossue et les perles étranges
Se mêlaient dans nos mains poudreuses ; et chacun,
Pourvoyeur de denrée ou marchand de parfums,
Vidait son étalage et gonflait sa sacoche ;
Car tout acheteur cède au geste qui l’accroche
Par un pan de la robe ou le bas du manteau…
Les plus petits grimpaient sur de grands escabeaux,
Et le plus doucereux comme le plus retors,
Le soir, comptait et recomptait sa pile d’or,
En partant, et chacun, — pour qu’à l’ombre des haies
Les détrousseurs d’argent qui guettent les monnaies
Ne nous attendent point sur la route déserte,
O porte ! et pour qu’un Dieu fasse nos pas alertes, —
Chacun, sans regarder celui qui va le suivre,
Cloue à ton seuil de pierre une pièce de cuivre.


POUR LA PORTE DES COMÉDIENNES


Le chariot s’arrête à l’angle de mon mur.
Le soir est beau, le ciel est bleu, les blés sont mûrs ;
La Nymphe tourne et danse autour de la fontaine ;
Le Faune rit ; l’Eté mystérieux ramène
A son heure la troupe errante et le vieux char,
Et celles dont le jeu, par le masque et le fard,
Mime sur le tréteau que foule leur pied nu
La fable populaire, ou le mythe ingénu,
Ou l’histoire divine, humaine et monstrueuse,
Qu’au miroir de la source, au fond des grottes creuses,
Avec leurs bonds, avec leurs cris, avec leur rire,
La Dryade argentine et le jaune Satyre
Reprennent d’âge en âge à l’ombre des grands bois.
Venez ! l’heure est propice et la foule est sans voix ;
Et l’attente sourit déjà dans les yeux clairs
Des enfans et des doux vieillards ; et, à travers
Ma porte qui, pour vous, s’ouvrira toute grande,
Hospitalière et gaie et lourde de guirlandes,