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dans la crainte d’allumer un incendie qui commencerait par brûler votre maison. »

La prétendue assistance de Cavaignac n’était donc en vérité que la forme amicale et attristée de la résignation au triomphe autrichien.

Des infortunes semblables avaient fondu dans le reste de l’Europe sur les révolutionnaires.

Quatre-vingt mille hommes envoyés par le tsar Nicolas avaient mis à l’ordre les fantaisies roumaines. La Porte protestant qu’elle n’avait pas besoin d’être suppléée, réclama contre cette occupation russe et envoya des troupes à Bucharest. En même temps, le recul commença à Posen. Les Polonais, ayant pris les armes pour protester contre le retrait hypocrite des récentes concessions, furent battus ; les Allemands crièrent à la jacquerie ; le sentiment unanime de sympathie qui avait éclaté en Prusse se changea en un sentiment non moins unanime de haine. Dans les journaux et dans les clubs de Berlin, on prêchait ouvertement une croisade contre les Polonais de Posen. Les mesures de rigueur les plus sévères furent déployées contre eux. Tout prisonnier pris les armes à la main était fusillé. Ceux qui étaient remis en liberté étaient marqués sur l’oreille et sur la main droite, au moyen du nitrate d’argent et d’une couleur noire. A l’exception de huit districts sur vingt-six, le duché fut incorporé définitivement à la Prusse.

A Berlin le roi supportait de plus en plus malaisément les entreprises et les discours de la Chambre qu’il avait convoquée pour établir une constitution ; ses votes et ses délibérations l’exaspéraient ; il ne se décidait cependant pas à s’en débarrasser. Parmi ceux avec lesquels il aimait à s’entretenir de cette situation était le fougueux orateur du Landtag Bismarck[1]. « Une action énergique, lui disait un jour le roi sur la terrasse de l’orangerie de Potsdam, pourrait être dangereuse. — L’absence de courage, riposta Bismarck, serait seule périlleuse. Du courage, du courage et encore du courage, et Votre Majesté triomphera. » À ce moment la reine sortant d’un bosquet s’écria : « Mais, monsieur de Bismarck, comment pouvez-vous parler à votre roi en de tels termes ? — Laissez-le dire, répondit le roi en riant, je le mettrai bientôt à la raison, » et il continua à exposer sa tactique défensive. Il finit cependant par comprendre qu’elle n’était qu’une capitulation. Il se décide, rappelle ses troupes, renvoie ses ministres concilians, et constitue, sous la présidence du comte de

  1. Emile Ollivier, l’Empire libéral, t. Ier, p. 263.