Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si l’on voulait l’appui de la France, la seule manière de l’obtenir eût été de demander franchement l’intervention avec toutes ses conséquences (13 août 1848). »

Au lendemain de Février cette intervention était possible ; elle avait cessé de l’être après les journées de Juin. Une portion de l’année des Alpes, rappelée à Paris pour y rétablir l’ordre, y avait été gardée pour l’y maintenir. Paralysés par nos embarras intérieurs, nous n’étions plus en état de faire campagne, surtout au profit d’une nation dont l’armée venait d’être presque anéantie. Du reste Cavaignac ne sympathisait pas non plus avec l’entreprise de Charles-Albert. Il admettait l’unité de l’Italie sous la forme et sur le principe d’une fédération entre États indépendans, ayant leur souveraineté propre, s’équilibrant autant que possible, mais il ne voulait point d’une unité qui placerait l’Italie sous la domination d’un seul de ses États, le plus puissant de tous. Prêt à défendre la frontière du Tessin si Radetsky la menaçait, il ne se croyait pas obligé de répandre le sang de la France pour assurer à un roi l’extension de ses possessions territoriales. C’eût été à ses yeux un crime de lèse-principe. « Pourquoi voulez-vous, disait-il aux envoyés lombards, que nous travaillions à constituer à nos portes un puissant État qui, aussitôt formé, deviendra contre nous l’allié de l’Autriche ? — C’est une crainte imaginaire, répondaient-ils. Le Piémont, accru de la Lombardie et de la Vénétie, serait au contraire votre allié naturel, parce que ses intérêts seraient les mêmes pendant la paix et pendant la guerre, et que ; ni l’alliance anglaise, ni l’alliance russe ou prussienne ne pourraient le préserver contre les cent manières par lesquelles vous pourrez l’assaillir. » Le général ni son ministre des affaires étrangères, Bastide, ne se laissèrent convaincre.

Les historiens italiens s’en sont indignés, oubliant que l’Italie entière partageait alors les défiances du général Cavaignac contre Charles-Albert et que Manzoni, Cantù, Ferrari, Cattaneo s’étaient prononcés contre l’annexion de la Lombardie an Piémont[1]. D’autre part les dépêches des ministres piémontais au cabinet anglais, publiées depuis, justifient entièrement les objections du gouvernement de Cavaignac. « Dites aux ministres anglais, écrivait le ministre des affaires étrangères piémontais, Pareto, à son ambassadeur à Londres, Revel, qu’ils ont intérêt à favoriser dans le nord de l’Italie la constitution d’un puissant royaume en état de donner la main à la Prusse pour contenir les velléités guerrières de la France[2]. » L’historien qui rapporte cette dépêche

  1. Nicomede Bianchi, t. V, 224, 233, 246, 249.
  2. 2 mars 1848. Bianchi, t. V, p. 172.