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qu’un fantôme, l’armée de Radetsky qu’une ombre ! Cette infatuation était portée à ce point que le ministre sarde à Paris considérait comme un signe de malveillance les inquiétudes de Lamartine sur la certitude des succès de l’armée piémontaise[1]. La formation de notre armée des Alpes, motivée par la pensée amicale de couvrir les derrières de Charles-Albert, préoccupait le gouvernement piémontais plus que l’armée de Radetsky. Il y soupçonnait l’arrière-pensée hostile de le surveiller et de l’inquiéter. Il n’osa en demander le licenciement, mais nous pria d’écarter notre flotte de Gènes.

Il fit publier à Marseille par son consul « que les compagnies de volontaires venant de l’étranger sans autorisation, étant un embarras pour l’armée régulière et un danger pour les campagnes, seraient repoussées, à quelque nation qu’elles pussent appartenir. » En conséquence, lorsque le général Antonini arriva de Paris avec une colonne de volontaires, le consul sarde s’opposa à son embarquement pour Gènes. Manin seul, manifestant ce sens politique de premier ordre auquel l’Italie doit sa résurrection autant qu’au génie de Cavour, se rendait compte que, sans le secours français, l’Autriche ne serait pas chassée ; mais lorsqu’il consulta les gouvernemens italiens à ce sujet, son avis fut unanimement rejeté. L’Italia fara da se, lui répondit-on. Mais les Lombards et les Vénitiens eux aussi se sacrifièrent à une chimère de présomption et restèrent muets.

Cependant Lamartine, dont l’imagination, les sens étaient italiens ne se résignait pas à rester inutile au pays de sa prédilection. Ayant été nommé par l’Assemblée constituante l’un des cinq membres de la commission exécutive (6 mai), il revint sur son projet d’une intervention spontanée. Ses collègues ne l’admirent pas. Prévoyant la double hypothèse de la défaite et de la victoire de Charles-Albert, ils résolurent, dans le premier cas, d’arrêter l’Autriche à la ligne du Tessin, dans le second, de réclamer, comme compensation à l’établissement d’une puissante monarchie piémontaise, Nice, la Savoie, « protection nécessaire de notre sécurité, lambeau du sol national iniquement séparé par le traité spoliateur de Paris, qui depuis tant d’années demandait le retour à la mère patrie[2]. » Ce n’eût pas été une conquête, mais une restitution.

Instruit de notre résolution, le Piémont respira. « L’armée

  1. Dépêche 12 avril 1848.
  2. Lamartine, Révolution de 1848, t. II, p. 282 : « Mazzini (loco citato) prétend avoir la certitude que le parti modéré avait pris secrètement l’obligation de céder la Savoie. Dans une carte du futur royaume, faite à Turin, la Savoie était éliminée. » Une certitude de Mazzini n’est pas une preuve.