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certaines conditions de cens et d’indépendance, elle n’en exigea aucune : tout Français Agé de vingt et un ans, non privé de ses droits civils, fut électeur. La cause à laquelle le prince Louis Napoléon s’était consacré triomphait. Aussi ce fut son nom qui, au lendemain de l’événement, sortit du long silence de la foule.

Avec une sagesse consommée le prince ne brusqua rien, laissant à la vague de fond qui le portait le temps de submerger toutes les résistances. Dès le 22, à la sollicitation de quelques républicains, convaincus que son concours leur vaudrait l’armée, il s’était mis en route pour Paris. Il y arriva le lendemain de la révolution. Du domicile de son ami Vieillard, rue du Sentier, où il était mystérieusement descendu, il annonça au gouvernement provisoire « qu’il accourait pour se ranger sous le drapeau de la République. » L’accusé de réception fut l’ordre de quitter la France dans les vingt-quatre heures. Il ne résista pas : « Vous pensez, répondit-il, que ma présence à Paris est maintenant un sujet d’embarras, je m’éloigne momentanément. Vous verrez dans ce sacrifice la pureté de mes intentions et de mon patriotisme. » Il ne se présenta même pas aux premières élections de l’Assemblée constituante. Tant que la constitution n’aurait pas été fixée, son rôle serait difficile et même dangereux en France. Bon gré mal gré, ses antécédens en feraient un chef de parti et l’exposeraient aux intrigues ; mieux valait prolonger quelques mois encore un exil qui, étant volontaire, devenait moins pénible[1]. A Londres, il remplit son devoir d’hôte loyal en s’inscrivant, à côté de ce qu’il y avait de plus respectable dans la Cité, parmi les constables spéciaux postés à Trafalgar square pour contenir l’agitation chartiste. Il laissa à trois de ses cousins, Jérôme Napoléon, Pierre Bonaparte, Mural, le bénéfice de la faveur populaire. Il ne fut nommé pour la première fois qu’aux élections complémentaires du 7 juin 1848 dans les départemens de la Charente-Inférieure, de l’Yonne, de la Corse et de la Seine.

L’effet de cette manifestation fut d’autant plus considérable, qu’elle avait été spontanée. « Il y a huit jours, disait Proudhon, le citoyen Bonaparte n’était encore qu’un point noir dans un ciel en feu ; avant-hier ce n’était qu’un ballon gonflé de fumée ; aujourd’hui c’est un nuage qui porte dans ses flancs la foudre et la tempête. »

Les puritains de la République, pour lesquels le but justifie les moyens, secondés cette fois par Lamartine, proposèrent de déclarer le prince inéligible en vertu de la loi de 1832. Jules Favre, Crémieux et Louis Blanc démontrèrent que la Révolution

  1. A Vieillard, 11 mai 1848.