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du Laurier noble, du Laurier-rose, de la Vigne cultivée, du Lierre d’Europe, du Magnolia à grandes fleurs, de l’Arbre de Judée, du Tilleul, etc. Ce ne sont pas là des vues de son esprit. Il donne les figures de tous ces végétaux primitifs, de sorte que chacun peut contrôler ses assertions.

D’où proviennent ces changemens de la végétation ? Ils ont résulté en partie du refroidissement du globe qui a commencé au pôle Nord et s’est propagé au Sud. À mesure que le froid gagnait, les plantes sont descendues vers les pays du soleil. Ainsi à l’époque secondaire il y a eu au Spitzberg des plantes semblables à celles de nos pays. Puis, la glace envahissant, elles sont descendues ; pour les suivre, il faut aller à la latitude de Londres pendant le commencement du tertiaire, à la latitude de la Bohême (c’est-à-dire de Paris) pendant l’époque dite oligocène, à la latitude d’Œningen (ou de Dijon) à l’époque miocène, à la latitude de Lyon dans l’époque pliocène, à la latitude de Marseille dans l’époque actuelle. Mais on observe des irrégularités, puisqu’on vient de voir que près de Paris il y a eu pendant quelque temps des Figuiers, des Lauriers. Les migrations ne suffisent point pour expliquer les changemens du monde végétal. Comment se sont-ils produits ? Nous l’ignorons encore.

Si persévérans qu’aient été ses efforts pour comprendre l’histoire des origines du monde végétal, le grand naturaliste dont je viens d’esquisser les travaux ne s’est pas dissimulé l’immensité du domaine de l’inconnu qui se présentait encore devant lui. Tout savant qui vieillit a une pensée de mélancolie en se rappelant l’espoir qu’il avait dans sa jeunesse de trouver la vérité, et en constatant que ses découvertes ne sont pas en proportion de la peine qu’il s’est donnée. Pourtant, a dit Saporta, « soyons satisfaits d’avoir tenté d’ouvrir la voie, d’avoir jeté vers le but qui se cache à l’horizon des regards inquiets et d’avoir fait appel en vue de l’avenir à cette curiosité insatiable de l’esprit humain qui saura bien un jour, par quelque procédé encore ignoré, pénétrer assez loin pour atteindre l’inconnu et percer enfin les derniers voiles qui nous dérobent le secret du « comment » de la création[1]. »

Il serait à souhaiter que le marquis de Saporta eût des imitateurs. Il est beaucoup d’hommes pourvus des biens de la fortune qui ne savent pas s’en servir ; quelques-uns ne pourraient-ils pas se consacrer au culte de la science ? Ils trouveraient là de pures jouissances. Pauvres penseurs que nous sommes, lorsque nous

  1. Origine paléontologique des arbres, in-16, 1888.