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tiques amys qui jouèrent avec lui la morale comédie de celuy qui avait épousé une femme muette : « Le bon mary veut qu’elle parle… La parole recouvrée, elle parle tant et tant que son mary retourne au médecin pour remède de la faire taire. Le médecin répond avoir remèdes propres pour faire parler les femmes, mais n’en avoir pour les faire taire. Remède unique être surdité du mary. La femme voyant que de lui n’estait entendue devient enraigée. Puis le médecin demande son salaire, et comme le mary respond qu’il n’entend, il lui jette une poudre qui le rend fol. Le fol mary et la femme enraigée se rallient et tant battent le médecin et chirurgien qu’ilz les laissent à demy mors. » Rabelais ajoute : « Je ne ris oncques tant que je lis a ce patelinage. »

Le fils du joyeux doyen de Montpellier fut Jean Saporta qui a été également doyen. Il a combattu dans l’armée huguenote où il était colonel sous le commandement de l’amiral de Coligny ; après la journée de la Saint-Barthélemy, il se jeta dans La Rochelle et y fut blessé dangereusement. Son fils Étienne Saporta abjura le protestantisme et fut président de la chambre de Montpellier. La plupart de ses descendans se sont voués au métier des armes. Aujourd’hui il nous paraît singulier de voir dans une noble famille des hommes qui portent indifféremment la robe de médecin ou celle de magistrat ou l’épée. Saporta, qui était bien au courant de l’état social du midi de la France dans le xvie siècle, m’a quelquefois fait des réflexions intéressantes à ce sujet. Il me disait qu’on aurait une idée fausse du rôle de la noblesse en France, si on s’imaginait qu’elle a pendant longtemps constitué une caste isolée du reste de la nation, comme à partir du règne de Louis xiv. Elle était mêlée à tout, aux sciences, aux arts, au commerce, à l’industrie. Ce n’était pas une noblesse de parade, croyant indigne d’elle de remplir les emplois qui peuvent être utiles au pays. On ne s’affublait point autant qu’à présent de titres et de particules. Ainsi qu’aujourd’hui en Angleterre, la noblesse représentait dans les diverses branches la quintessence du pays ; c’est pourquoi elle s’est maintenue si longtemps respectée, souvent même aimée. Quand la monarchie, gênée par sa puissance, a voulu la diminuer, elle a favorisé ses goûts vaniteux ; les gens empanachés se sont séparés des bourgeois et des travailleurs ; ceux-ci peu à peu se sont mécontentés, jugeant que ceux qui sont à la peine doivent être à l’honneur.

Gaston de Saporta a été initié dès son enfance aux études d’histoire naturelle. Son père, un ancien officier, s’occupait d’insectes et surtout de papillons. Son grand-père maternel était Boyer de Fonscolombe, entomologiste habile qui a laissé des