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ardeur à provoquer une intervention de la cour de France dans les affaires d’Italie. Le 29 novembre, ils écrivaient encore, résumant dans une phrase heureuse l’ensemble des raisons qui auraient dû la décider : « Nous avons fait connaître à Sa Majesté la nécessité où elle se trouve d’aider la Savoie, de porter intérêt aux affaires de la République, de soutenir l’Italie, et enfin d’avoir l’œil le plus attentif sur les desseins et les actes des Espagnols, qui veulent arriver, par tous les moyens, à la domination complète sur l’Italie, au grand préjudice de la couronne de France… Mais, ajoutent-ils, nous n’avons guère obtenu de succès, le ministre (Mangot) étant sans expérience non seulement de cette affaire, mais de toute espèce d’affaires, et, en outre, attaché au parti contraire. »

Maintenant que Mangot venait d’être remplacé par Luçon, allait-il en être autrement ? C’est ici que les circonstances attendaient le ministre débutant pour poser devant lui un de ces dilemmes redoutables qui sont l’épreuve des hommes d’Etat. On dirait que la destinée prend à tâche de lui soumettre d’emblée les grands débats parmi lesquels s’écoulera sa vie.

Plongé dans ses réflexions, le jeune évêque compare et pèse : d’un côté les vieilles traditions, le souvenir du roi Henri, un sentiment d’honneur et de fierté nationales, un noble espoir de luttes et de relèvement après les faiblesses et les hontes d’une régence avilie ; de l’autre, la pression des intérêts et des événemens qui ont poussé aux affaires le nouveau ministre et ses amis, les engagemens et les familiarités avouées, les paroles prononcées aux Etats, les aspirations et les vanités de la reine mère si heureuse des mariages espagnols, et, par-dessus tout, l’appréhension d’une grosse partie à jouer avec des ressources restreintes, une autorité discutée, un avenir précaire… Richelieu hésite. Enfin, se mettant en mouvement, il essaye de se dégager des liens qui l’enchaînent, et sa politique, à la fois impatiente et rusée, se glisse entre les deux solutions qui s’offrent à lui.


G. HANOTAUX.