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Il la suivait encore, quand, au mépris des ordres de la cour, il franchissait les Alpes, en hiver, pour porter secours au Savoyard traqué dans ses montagnes par le gouverneur Don Pedro. Parmi les raisons qu’il donnait, après coup, pour expliquer sa résolution, il y en avait de très plausibles. « Le feu roi a engagé le duc de Savoie dans la querelle dont il porte aujourd’hui tout le poids ; Louis XIII lui-même, médiateur de la paix d’Asti, doit veiller à ce qu’elle soit fidèlement observée des deux parts. Le gouverneur du Milanais l’a violée effrontément, et menace l’existence de la Savoie. Or la maison de France a un intérêt de premier ordre à ce que cette principauté ne soit pas anéantie. Il y va même de l’honneur de la couronne. C’est ce sentiment, partagé par tous les « bons Français, » qui guide le maréchal au moment où il franchit les Alpes. Sa conduite a toujours été à l’abri du reproche ; elle l’est encore dans cette circonstance ; ce n’est pas à son âge qu’il voudrait gâter une existence toute faite de loyauté et de soumission. Il restera, jusqu’à la mort, fidèle à son serment d’obéissance, mais aussi fidèle au serment qui le lie aux alliés de Sa Majesté. La province est tranquille. Le royaume ne souffrira pas d’une courte absence qui aura pour résultat de rendre les Espagnols plus traitables et de les incliner devant l’intervention du roi de France, qui, une fois encore, agira dans le sens de la paix. » Le 19 décembre, Lesdiguières quittait Grenoble avec 7 000 fantassins et 500 cavaliers. Il arrivait à temps pour sauver Charles-Emmanuel en prenant ou en débloquant les places assiégées ou enlevées par les Espagnols.

Au fond, tous les cœurs français étaient avec Lesdiguières. Louis XIII lui-même, en recevant ces lettres où un sujet en prenait si à son aise avec les ordres du prince, ne pouvait dissimuler sa satisfaction : « Tant mieux, dit-il, cela fera baisser le nez aux Espagnols. » La cour pensait de même : quelques mois auparavant, sur les instances de l’ambassadeur d’Espagne, on avait interdit aux gentilshommes et aux soldats de franchir les Alpes pour aider le duc. Tout le monde se plaignit de cette mesure, et les gentilshommes n’en tenaient aucun compte : « On ne peut croire combien, de cet ordre, chacun en dit vivement sa pensée. On trouve qu’il est vraiment trop dur d’être empêché d’aller à la défense d’un prince allié de cette couronne, qui est en paix avec la France et dont la conservation importe tant aux intérêts de ce royaume, quand le roi défunt n’a pas interdit à ses sujets d’aller se mettre au service de l’archiduc Albert, au moment même où les États de Hollande étaient ses alliés. »

Les ambassadeurs vénitiens, de leur côté, travaillaient avec