Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La France a le droit de se souvenir de ce qui s’est passé à cette époque, mais elle aurait tort d’en garder rancune. M. Thiers le comprit ainsi ; et dans les nominations des nouveaux représentai de la France, il eut soin d’y comprendre immédiatement celle d’un ambassadeur à Saint-Pétersbourg. Son choix se porta sur le duc de Noailles, et je fus chargé de demander l’agrément du prince Gortchacow à cette nomination.

Cette désignation était fort heureuse, ainsi que celle des autres ambassadeurs que M. Thiers choisit à cette époque, où il tenait à donner au parti monarchique, en majorité dans la nouvelle assemblée, sa part légitime d’influence et d’action. Il importait beaucoup, en effet, à ce moment, où l’existence même du pays était en jeu, d’envoyer à l’étranger des hommes considérables par leur position personnelle et qui montrassent que la France, sortie d’une crise où les élémens révolutionnaires avaient été trop souvent mêlés à la lutte, ne chercherait qu’à vivre en paix avec les souverainetés établies et les intérêts conservateurs, au dehors comme au dedans. M. Thiers y réussit par ces nominations, et le choix du duc de Noailles, ancien pair de France, était aussi heureux pour Saint-Pétersbourg, que celui du duc de Broglie pour Londres, du marquis de Vogué pour Constantinople, et du marquis de Banneville pour Vienne.

Le prince Gortchacow avait cru d’abord que le gouvernement nouveau, vu son étiquette républicaine, ne serait représenté que par des envoyés ayant rang de ministres, et non par des ambassadeurs. M. Thiers le comprit autrement et justifia pleinement sa manière de voir par les choix qu’il fit. Un ambassadeur a une tout autre situation qu’un ministre, lorsque personnellement il peut, soit par une grande notoriété politique, soit par sa position sociale, être au niveau du rang élevé et des privilèges que sa nomination lui confère. Dans le cas contraire, elle l’amoindrit,