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Okouneff, que le gouvernement de Paris était d’un autre avis que la délégation de Bordeaux, et qu’il entendait laisser à la nation l’entière liberté de ses votes.

« Ce n’en est pas moins une faute grave qui a été commise, et si l’on persistait dans cette voie, elle aurait pour effet de rendre nos rapports impossibles avec les puissances étrangères. En supposant que leur concours nous fasse absolument défaut, il vous paraîtra comme à moi très important de ne pas nous aliéner leurs sympathies en affaiblissant, par des restrictions et des défiances, l’autorité de notre nouveau gouvernement qui, pour rester à la hauteur de sa tâche, devra ne pouvoir être contesté dans son origine par personne, ni au dedans, ni au dehors. »

Après avoir envoyé ce télégramme à M. de Chaudordy, je fis savoir au prince Gortchacow, par un de ses conseillers intimes, que je le priais de ne pas s’étonner s’il ne me voyait plus jusqu’à ce que la crise gouvernementale où nous étions engagés fût terminée ; — car, à mes yeux, nous n’avions plus l’ombre même d’un gouvernement.

Quelques jours après, je reçus un billet du chancelier qui me demandait de venir le voir. Je me rendis chez lui : il me dit qu’il avait compris et hautement apprécié les motifs de mon abstention ; mais que l’arrivée de M. Jules Simon à Bordeaux et la démission de M. Gambetta, que M. Okouneff venait de lui télégraphier, donnaient toute satisfaction aux amis de la France ; que, quant à lui, il serait charmé de reprendre avec moi des rapports auxquels il voulait bien attacher quelque prix. En rentrant, je trouvai le télégramme de M. de Chaudordy me confirmant la nouvelle que m’avait donnée le chancelier.

La faute commise à Bordeaux eut pour conséquence, comme on le sait, d’augmenter encore les chances [des députés royalistes qui se présentaient aux élections. Les illégalités et les violences ne sauvent pas une situation absolument compromise. Le pays voulait la paix dans la légalité, et le crédit qu’il avait ouvert au gouvernement de la Défense nationale était définitivement épuisé. L’étranger le savait et attendait avec impatience le résultat des élections qui permettraient la constitution d’une assemblée, et, par suite, celle d’un gouvernement responsable, avec lequel on pût traiter de la paix.

Le 18 février, je reçus l’avis de la nomination par l’Assemblée nationale de M. Thiers comme chef du pouvoir exécutif, et l’invitation de demander la reconnaissance officielle du nouveau gouvernement. Elle eut lieu sans délai. Le surlendemain 20 février, je télégraphiai au ministre des affaires étrangères :

« Le prince Gortchacow vient de me dire qu’il verrait demain