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Enfin le douloureux moment de la capitulation de Paris arriva. Je n’oublierai jamais l’impression que nous éprouvâmes le soir où l’on me remit le télégramme de M. de Chaudordy, annonçant que la reddition était imminente. Tous nos sacrifices allaient donc être inutiles ! Cette défense de cinq mois si belle, si glorieuse par les sacrifices volontairement acceptés de tous, n’aurait donc servi qu’à aggraver les conditions que nous imposeraient nos vainqueurs ! Qu’allait-il se passer dans cette ville où ils voudraient nécessairement entrer ? Que ferait notre population à la vue des soldats ennemis venant camper sur nos places ? Enfui, comment un gouvernement, dont la défense de la capitale était principalement la raison d’être, pourrait-il maintenir dans l’ordre une population, qui, malgré l’héroïsme dont une partie d’entre elle avait fait preuve, contenait cependant tous les fermens anarchiques révélés au 31 octobre ? Problèmes redoutables, et dont le plus grand nombre fut malheureusement résolu de la façon la plus douloureuse pour nous.

Ainsi que je le disais, la capitulation de Paris fut envisagée à Pétersbourg comme la fin de la guerre. A partir de ce moment, on n’admit plus qu’il y eût pour nous autre chose à faire que de traiter de la paix le plus promptement possible et de convoquer une assemblée nationale pour la ratifier. Les tentatives d’une partie de la délégation de Bordeaux pour prolonger la défense, retarder les élections, et surtout l’idée d’un de ses membres de déclarer inéligible toute une catégorie de personnes, qui avaient occupé des fonctions marquantes sous l’Empire, furent jugées fort sévèrement à Saint-Pétersbourg. On trouvait, avec raison, que tout en ce monde a un terme, et que la capitulation de Paris marquait aux yeux mêmes des plus audacieux la fin de la résistance possible. Pour les uns, on aurait dû traiter après Sedan ; pour les autres, et l’on me permettra de dire que je suis de ce nombre, au moment où M. Thiers avait négocié une première fois avec M. de Bismarck, au mois de novembre ; mais je dois ajouter que personne en Europe ne croyait possible de résister après la capitulation de Paris. Il est inutile d’en rappeler ici les motifs. Ils étaient trop évidens. Aussi cette persistance à vouloir s’imposer au pays fut-elle jugée très sévèrement au dehors. Je télégraphiais le 5 février à M. de Chaudordy :

« En allant ce matin chez le chancelier, je l’ai trouvé très peu satisfait du décret sur l’inéligibilité des fonctionnaires. Il y voyait une sorte de défiance gratuite et par suite blessante vis-à-vis du pays auquel personne n’avait le droit d’imposer, en le consultant, certains candidats de préférence à certains autres.

« Le chancelier savait du reste, par un télégramme de M.