Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et d’autre ; mais elles ont été presque aussitôt réparées avec une habileté à laquelle il convient de rendre hommage. Dès aujourd’hui, tout danger sérieux est écarté. Nous ne savons pas quel expédient on trouvera pour sauver les amours-propres en présence, mais sûrement on en trouvera un.

Rendons à l’Angleterre la justice que si l’Amérique a un peu perdu la tête pendant quarante-huit heures, elle a conservé toute la sienne. Si lord Salisbury avait répondu sur le même ton que M. Cleveland, les fusils et les canons seraient partis tout seuls. Mais il n’a rien dit du tout, et la presse anglaise a montré de véritables qualités diplomatiques. Elle a d’abord répondu vertement, c’est-à-dire comme il convenait, aux prétentions américaines, mais sans dépasser la mesure et sans prononcer aucun de ces mots qu’on regrette après les avoir laissés échapper. Elle a pris soin de relever tous les symptômes d’apaisement qui se produisaient aux États-Unis, et même d’en exagérer un peu l’importance, afin d’avoir le droit de s’en montrer plus satisfaite. La manière dont elle les accueillait devait les encourager à se multiplier. Ce n’étaient d’abord que des voix isolées ; mais bientôt les ministres de toutes les confessions, depuis les protestans épiscopaliens et les congrégationalistes jusqu’aux catholiques, sont montés en chaire pour prêcher la paix. Les présidons d’un assez grand nombre de chambres de commerce, tout en approuvant le message de M. Cleveland, ont déclaré qu’ils n’étaient pas partisans de la guerre. Au bout de quelques jours, le contre-coup de ces manifestations s’est produit en Angleterre. Un échange de correspondances a eu lieu par télégraphe entre les journaux américains et des personnages plus ou moins considérables de Londres. Le World en particulier s’est donné ce rôle d’intermédiaire, et il s’est d’abord tout naturellement adressé à M. Gladstone. Celui-ci a répondu : « Je ne pense pas devoir intervenir. Il suffira d’avoir du sens commun, je n’en puis utilement dire davantage. » Il s’est adressé à lord Salisbury, et lui a même donné quelques conseils que celui-ci n’a pas cru devoir suivre, mais il a fait répondre très poliment par un secrétaire : « Bien qu’il partage entièrement vos sentimens d’amitié, il est impossible au ministre des affaires étrangères de suivre la marche que vous suggérez. » Il s’est adressé au docteur Ryle, évêque anglican de Liverpool, pour lui demander un message pacifique, et l’évêque a télégraphié : « L’agitation des Américains cause de la peine et excite de la surprise en Angleterre ; on n’a ici d’autres sentimens que ceux de la paix et de la fraternité. On prie beaucoup. » Nous ne pouvons pas énumérer toutes les manifestations du même genre qui ont peu à peu contribué à amener la détente. La dernière est le télégramme suivant, adressé toujours au directeur du New York World par le secrétaire du prince de Galles : « Je suis chargé par le prince de Galles et le duc d’York de remercier M. Pulitzer. Ils ont la plus grande confiance et ne peuvent