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leur système politique à une partie quelconque de notre hémisphère… La politique que nous avons adoptée à l’égard de l’Europe, dès le commencement même des guerres qui ont si longtemps agité cette partie du globe, est toujours restée la même : elle consiste à ne jamais nous interposer dans les affaires intérieures d’aucune des puissances de l’ancien monde ; à considérer le gouvernement de fait comme légitime relativement à nous… Mais, lorsqu’il s’agit de notre continent, les choses changent tout à fait de face : car si les puissances alliées voulaient faire prévaloir leur système politique dans l’une ou l’autre partie de l’Amérique, elles ne le pourraient pas sans qu’il en résultât un danger imminent pour notre bonheur et notre tranquillité. Aucune d’elles d’ailleurs ne peut croire que nos frères du Sud l’adopteraient de leur propre gré si on les abandonnait à eux-mêmes. Il nous serait également impossible de demeurer spectateurs indifférens de cette intervention sous quelque forme qu’elle eût lieu. » Cela ressemble beaucoup à : Chacun chez soi, et l’Amérique aux Américains.

On se demandera peut-être quel rapport il y a entre le message de Monroe et le conflit anglo-américain actuel. L’Angleterre, à l’exemple de la France qui a voulu autrefois établir un empire au Mexique, — ce que M. Olney lui reproche encore, veut-elle établir un royaume dans la Guyane ? Non, à coup sûr. Cependant, on voit bien, lorsqu’on lit sa dépêche du 20 juillet dernier, que M. Olney venait de relire lui-même, avant de prendre la plume, le message du Président Monroe ; mais il a été moins heureux dans la forme. Il fait la leçon à l’Angleterre d’une manière qui ne laisse pas d’être amusante à force d’être déplacée. « Les intérêts moraux de l’Europe lui sont particuliers, dit-il, et sont entièrement différens de ceux qui touchent l’Amérique. L’Europe, dans son ensemble, est monarchique, et à part la seule et importante exception de la République française, elle est soumise au principe monarchique. L’Amérique, de son côté, est attachée à un principe absolument opposé, à l’idée que tout peuple a un droit inaliénable à un self government, et, dans les États-Unis d’Amérique elle a fourni au monde l’exemple et la preuve la plus remarquable et la plus concluante de l’excellence des institutions libres, au point de vue de la grandeur nationale et du bonheur individuel. Il n’est donc point nécessaire, en ce qui touche les intérêts moraux et matériels, de s’étendre sur ces considérations ; mais il est impossible de ne pas reconnaître universellement que lesdits intérêts en Europe sont tout à fait différens de ce qu’ils sont en Amérique, et que tout contrôle européen exercé sur ce dernier pays est nécessairement à la fois inconvenant et injurieux. » M. Olney continue très longtemps sur ce ton ; il affirme que le devoir des États-Unis est de défendre sur tout le continent européen le self government des autres États, et, dans l’entraînement de ses idées, il laisse entendre qu’il y aurait peut-être lieu d’étendre encore plus loin